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Esteban Gutiérrez, le Mexicain qui aide Mercedes à bâtir son empire

Certains pilotes se retirent complètement de la course automobile lorsqu'ils raccrochent le casque mais d'autres, comme Esteban Gutiérrez, ont l'ambition de passer du baquet au bureau de PDG. Stuart Codling s'entretient avec l'homme qui ouvre la voie à Mercedes en Amérique latine.

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Il n'est pas nouveau que les pilotes de course fassent la transition du cockpit à la vie d’après en jouant le rôle d'ambassadeur de marque. Lorsque des blessures ont contraint Sir Stirling Moss à prendre sa retraite avant l'heure, il a très vite découvert que le simple fait d'être Stirling Moss était extrêmement précieux.

De même, Sir Jackie Stewart a fait en sorte que les produits de la Ford Motor Company s'envolent sur les marchés avant même de quitter le cockpit de sa Tyrrell pour la dernière fois en 1973. Jusqu'à ce que la pandémie mette un frein à l'hospitalité des entreprises, il continuait à divertir énergiquement les invités d'une certaine société horlogère, course après course. En effet, lorsque GP Racing a plaisanté sur l'ironie du fait que son rôle d'ambassadeur Rolex semblait ne pas lui laisser de temps libre, il s'est esclaffé et a répondu : "Merci ! Je m'en servirai..."

Mais ces deux individus remarquables sont à part. Pour la plupart des pilotes, en particulier les plus jeunes, devenir "ambassadeur de la marque" se résume à porter le t-shirt de l'équipe et à se demander ce qu'ils vont faire ensuite. Ce n'est pas une perspective qui attire Esteban Gutiérrez qui, à bientôt 30 ans, développe son propre portefeuille d'affaires indépendant tout en travaillant avec Mercedes dans un rôle de développement couvrant toute l'Amérique latine.

Gutiérrez compte 59 départs en Formule 1 pour Sauber et Haas entre 2013 et 2016. Très tôt, il a appris ce qu'il ne fallait pas faire pour gérer une entreprise, s'étant retrouvé dans l'œil du cyclone lorsque Sauber avait plus de deux pilotes sous contrat au début de la saison 2015. Depuis, il a participé à une poignée de courses de Formule E et d'IndyCar, tout en agissant en tant que pilote de réserve et de développement pour Mercedes en F1, ce qui lui a permis de passer des heures dans le simulateur et de faire des apparitions en tant que représentant. Ce rôle s'est transformé en celui d'ambassadeur de la marque et des affaires.

"Depuis que je connais Esteban, j'ai été impressionné par sa compréhension globale de notre industrie et j'ai vu qu'il avait le potentiel pour contribuer plus largement à notre succès", confie Toto Wolff, patron de l’écurie Mercedes. "Il nous a aidés à développer de précieuses relations commerciales sur le marché latino-américain, et il est bien placé pour contribuer plus profondément à d'autres domaines de l'équipe. Le nouveau poste d'Esteban lui permettra d'apporter une valeur ajoutée à l'ensemble de l'équipe."

 

Au Mexique, il est difficile pour un pilote local de sortir de l'ombre de la célébrité de Sergio Pérez, mais les relations avec Mercedes ont fonctionné dans les deux sens en permettant à Gutiérrez de construire son propre profil. C'est son visage qui apparaît sur la page d'accueil de edasi.com, nouveau site internet de produits dérivés de la F1 sous licence qu'il a lancé cette année en Amérique du Sud, après avoir repéré une ouverture sur le marché.

"Les gens en Amérique latine n'ont pas accès à ces produits dérivés des équipes de F1 et d'autres marques de voitures", explique-t-il. "J'ai vu comment les gens les achètent, soit aux États-Unis, soit en importation spéciale, soit lors d'événements. Cela les rend inaccessibles pour beaucoup de gens. Si vous devez vous rendre à un Grand Prix et acheter un billet pour entrer avant de pouvoir acheter le produit, ce n'est pas un prix accessible pour beaucoup de gens. Mon objectif était de rapprocher ces produits des fans et nous sommes vraiment heureux des progrès réalisés."

Il est évident qu'il existe des moyens d'accéder à des marchandises de contrefaçon, mais si la vraie affaire est plus abordable qu'auparavant, cela ouvre le marché potentiel. Pour l'instant, le site propose des produits officiels de la F1, ainsi que des articles officiels de chez Mercedes, McLaren, Ferrari et Red Bull. Ainsi, Gutiérrez peut également profiter de la notoriété de Pérez.

"Je suis assez ouvert à ce sujet", dit Gutiérrez. "J'ai une grande plateforme où je peux développer différentes choses dans un but, celui de développer la base de fans en Amérique latine. J'apprécie le côté commercial de ce sport, je construis ma part, et j'essaie aussi de donner quelque chose en tant que membre de la communauté de la F1 pour l'enrichir."

"Avec Checo [Pérez], il fait un excellent travail en ce moment, il est en bonne position, et les gens ici [au Mexique] l'aiment et le soutiennent. Alors pourquoi ne pas leur offrir ça aussi ? Checo se concentre sur la course, et il y a beaucoup d'autres choses qui peuvent être faites pour construire la communauté des fans de F1."

"Je mets mon modèle sur le sport dans cette partie du monde. Travailler avec Mercedes, être lié à une marque de classe mondiale comme celle-ci, a été positif pour ma propre marque et j'en suis vraiment reconnaissant. Et j'essaie de trouver des moyens de rendre la pareille aux fans également, d'apporter cette plateforme où ils peuvent acquérir des vêtements, qu'ils soient fans de Mercedes ou d'autres équipes."

 

Vendre des voitures est un objectif clé pour les ambassadeurs de marque des fabricants et le contrat de Gutiérrez comporte des défis intrinsèques. L'économie en Amérique latine est sujette à des turbulences, généralement dues à l'instabilité et à l'incompétence politiques, qui engendrent et exacerbent des problèmes structurels plus larges tels que la pauvreté et les mauvaises normes éducatives. Néanmoins, la densité de population à travers le continent en fait un territoire précieux pour l'industrie automobile, tant en termes de production que de ventes, bien que le Brésil soit de loin le plus grand marché, suivi du Mexique, de l'Argentine et du Chili. En 2019, près de quatre millions de voitures ont été fabriquées au Mexique, tandis qu'en 2020, malgré les effets de la pandémie, 1,6 million ont été vendues au Brésil.

Les experts du secteur automobile s'attendent à ce que les investissements étrangers affectent l'offre et la demande, à mesure que l'industrie s'oriente vers l'électrification des véhicules particuliers et des moyens de production plus durables. Mercedes veut naturellement avoir une part de cette action. C'est le plus grand fabricant de bus et de véhicules commerciaux au Brésil, et sa branche financière a prêté un milliard de dollars en 2020. Mais sur le marché de l’automobile, les grands constructeurs tels que General Motors, Fiat Chrysler, Renault-Nissan et Volkswagen ont la mainmise.

"En Amérique latine, nous avons une croissance différente de celle des pays développés", explique Gutiérrez. "Et il y a des possibilités de mettre en œuvre des choses qui fonctionnent dans les pays développés, parce que le marché ici est en plein essor. Il est vraiment avide de nouveautés, de nouvelles technologies, d'innovation. Et l'industrie automobile peut également en tirer un grand profit."

"Il va y avoir de nouveaux marchés et des opportunités. L'accessibilité des nouvelles technologies et plateformes rapproche les gens des marques, de la même manière que des choses comme Netflix et les réseaux sociaux rapprochent les fans de la F1. Il s'agit simplement de maximiser ce potentiel."

"La pandémie a bouleversé la façon dont les gens consomment, dans les aspects pratiques des sorties et des achats, et aussi la façon dont nous interagissons avec nos communautés. Elle a eu un impact considérable sur les villes. Nous avons vu comment les gouvernements ont mis en œuvre de nouvelles technologies pour faciliter cette adaptation et notre industrie se développe très rapidement en adoptant également ces technologies."

 

Mercedes a été l'un des premiers constructeurs automobiles à mettre en place des "showrooms virtuels" pour faciliter l'achat d'une nouvelle voiture sans avoir à se déplacer. Alors que le monde apprend à vivre avec les effets du Covid et à les atténuer, des services comme celui-ci devraient rester les principaux portails clients de nombreuses marques. Gutiérrez voit également dans la technologie un moyen de contourner d'autres obstacles au développement des entreprises créés par la pandémie.

"Je travaille pour l'équipe en tant qu'ambassadeur de la marque depuis quelques années et je fais aussi du travail sur simulateur", explique-t-il. "Cette année, les choses ont changé, l'accent étant mis sur le côté ambassadeur. C'est passionnant, mais d'une certaine manière assez lent, car il n'y a pas beaucoup d'événements en ce moment. Mais j'ai fait des choses ici au Mexique et plus tard dans l'année, lorsque les événements commenceront à être plus fréquents, je m'y rendrai, je l'espère, sur certaines courses, et je m'impliquerai davantage dans le côté commercial de l'équipe, ce que j'ai également apprécié ces deux dernières années. Toto est un grand homme d'affaires ainsi qu'un chef d'équipe et j'ai beaucoup appris à ses côtés."

"Il y a aussi de nouvelles façons d'interagir, et peut-être qu'elles sont encore plus efficaces. Dans un travail comme celui-ci, vous avez des repères de performance. Avant, on pouvait vous demander : 'Combien de voyages avez-vous effectués ? Combien de personnes avez-vous rencontrées ?'. Je pense qu'aujourd'hui, le volume de personnes est peut-être plus élevé qu'avant, mais sans qu'aucun voyage ne soit nécessaire. Il y a des sponsors que je n'ai pas rencontrés en personne, nous avons tout fait virtuellement, mais ça marche. Je pense donc que, de ce point de vue, les choses seront beaucoup plus efficaces qu’avant."

"En termes d'événements, il sera intéressant de voir comment les choses évoluent. Je ne pense pas qu'il y aura un retour à la normale, mais je pense qu'il y aura une évolution, peut-être qu'une combinaison d'événements en direct et virtuels apportera des moyens d'interagir avec des publics nouveaux et différents."

 

Depuis son acquisition des droits commerciaux de la F1, Liberty Media a fait de l'élargissement de l'audience une priorité, même si cela peut sembler contre-nature étant donné que ses revenus dépendent des chaînes de télévision payantes et d'énormes droits qui sanctionnent, à leur tour, le prix des billets qui deviennent hors de portée pour de nombreuses personnes. Il s'agit d'une transition marquée par rapport au contrôle de l'accès à l'époque de Bernie Ecclestone ; lui qui avait déclaré qu'il ne s'intéressait à aucun marché peuplé de personnes incapables de s'offrir des Rolex...

Il n'en reste pas moins que les barrières à l'entrée dans le sport automobile sont assez élevées, même aux niveaux inférieurs : les karts sont plus chers que les ballons de football. L'une des autres activités très médiatisées de Gutiérrez a été la direction du programme eSport de Mercedes, dans le cadre duquel il a participé au championnat officiel de F1 pendant le confinement l’an dernier.

"Je pense que l’eSport est un bon point d'entrée pour les fans ainsi que pour les personnes qui ont pour aspiration de devenir pilotes", dit-il. "Avant, vous pouviez acheter un ballon et jouer avec vos amis, développer vos capacités et vous amuser, mais vous ne pouviez pas faire cela facilement dans le sport automobile. Maintenant, et c'est peut-être un peu différent, vous pouvez acheter le jeu vidéo de F1 et jouer avec vos amis, que ce soit chez vous ou avec des gens du monde entier."

"Ce que cela produit, c'est créer cette énorme communauté au sein de la jeune génération, cela les engage et les encourage à devenir des fans de F1 à l'avenir. Créer cet engagement est la partie importante de la croissance d'une communauté, et vous pouvez le voir. Le public est très conscient de ce qu'il aime et de ce qu'il n'aime pas."

"On peut faire plus en-dehors du monde virtuel. Actuellement, les fans peuvent sélectionner les caméras embarquées qu'ils souhaitent voir pendant un Grand Prix. Imaginez qu'ils puissent assister aux réunions d'équipe qu'ils souhaitent regarder et écouter, les personnages qu'ils souhaitent voir à l'extérieur du cockpit. Je pense que ces interactions peuvent devenir très intéressantes, et très puissantes d'un point de vue commercial."

Il semble que l'Amérique du Sud ait désormais sa propre réponse à l'après-carrière de Sir Jackie Stewart. Un accord avec Rolex sera-t-il la suite logique ?

 

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