Les libertés scénaristiques de Netflix, un mal pour un bien
Il y a peu, Max Verstappen a fait part de son agacement concernant le tableau de la F1 dépeint par Netflix dans sa série-documentaire Drive To Survive. Pourtant, les libertés prises par la plateforme de streaming sont largement compensées par l'effet positif qu'elle a eu sur la popularité du championnat.
Seize ans après le fiasco d'Indianapolis, où six voitures seulement avaient pris le départ de la course, le championnat a atteint les sommets aux États-Unis cette année, les tribunes du circuit d'Austin étant pleines à craquer. À vrai dire, la F1 a le vent en poupe au pays de l'Oncle Sam depuis le retour du Grand Prix, en 2012. Une spirale positive qui n'a fait que s'accélérer au cours des cinq dernières années sous le nouveau contrôle de Liberty Media, avec une deuxième course sur le sol américain prévue à Miami l'an prochain et une troisième dans les cartons.
Pour expliquer la côte de popularité de la F1 aux États-Unis, il faut aller sur Netflix et regarder Drive To Survive. Cette série-documentaire, dans le catalogue de la plateforme de streaming depuis 2019, a aidé à faire tomber les barrières qui empêchaient certaines personnes de s'intéresser à la F1, créant ainsi une nouvelle vague de fans.
Bobby Epstein, directeur du circuit d'Austin, a évoqué l'impact positif de Drive To Survive sur la vente de billets pour l'édition 2021 de la course en raison de la popularité de la série et de l'impasse faite par la F1 sur le Nouveau Monde l'an dernier. Ironie du sort, les derniers grands sujets de conversation concernant Drive To Survive ont plutôt porté sur les défauts de la série, Max Verstappen faisant partie des détracteurs.
"De mon côté, en tant que pilote, je n'aime pas faire partie [de la série]", a indiqué le pilote Red Bull dans une interview accordée à Associated Press. "Ils ont fabriqué quelques rivalités qui n'existent pas vraiment. J'ai donc décidé de ne pas en faire partie et je n'ai plus donné d'interviews après ça, parce qu'alors il n'y a rien à montrer."
Difficile de donner tort au Néerlandais : dans la dernière saison en date, retraçant l'année 2020, un épisode consacré à McLaren dépeignait une profonde rivalité entre Lando Norris et Carlos Sainz, éclatant en guerre ouverte à l'annonce du transfert du dernier vers Ferrari... Par ailleurs, Sainz a été placé malgré lui au centre d'une autre rivalité, cette fois-ci dans la deuxième saison, face à Daniel Ricciardo pour la suprématie sur le milieu du peloton.
Netflix s'est également permis de prendre d'autres libertés afin d'améliorer la trame, ou du moins la rendre plus dramatique. Ainsi, les messages radio, les luttes au classement général, les transferts de pilotes (pensez au "bienvenue chez Red Bull" lancé par Christian Horner à Sergio Pérez au téléphone dans la troisième saison) ne sont pas totalement fidèles à la réalité, ce qui est agaçant pour certains fans.
La manière dont les événements sont exagérés est aujourd'hui une recette à succès dans la culture "meme" de la F1. Depuis plusieurs mois, des fans s'amusent à réaliser des parodies de la série, généralement intitulées "comment Drive To Survive mettra en scène…", récoltant ainsi des milliers de vues sur YouTube. Netflix est-il donc allé trop loin dans les libertés prises avec Drive to Survive, en particulier lorsque le leader du championnat ne veut plus y participer ?
L'objectif n'est pas de donner une juste représentation
Il est important de se rappeler du but de la série. Les fans cherchant à voir une juste représentation des événements d'une saison ont compris depuis longtemps que ce n'est pas l'objectif de Drive To Survive. Celui-ci est de lever le voile sur les personnalités du paddock, en les rendant plus accessibles aux spectateurs occasionnels, et d'apporter un regard neuf sur certains aspects du championnat.
L'indice le plus évident se trouve dans le nom de la série, Drive To Survive (adapté en "Pilotes de leur destin" dans la version française). Réfléchissez à ce que cela signifie. Oui, le danger est toujours présent dans les sports mécaniques, mais le spectateur avide ne se concentre pas sur ce point lorsqu'il regarde un Grand Prix. Ce qui l'intéresse, c'est la compétition. Mais là encore, pour tenter de capter un public plus large, le facteur risque est mis en avant dans Drive To Survive. C'est pourquoi les accidents sont souvent dramatisés, avec l'ajout d'effets sonores.
Et puis les critiques de Verstappen n'ont pas trouvé écho parmi les pilotes. "Oui, ils font des mises en scène", a concédé le coéquipier du Néerlandais, Sergio Pérez. "C'est comme ça qu'ils vendent le championnat. J'imagine que c'est un show. Au fond, c'est bon pour la F1 et c'est bon pour les fans. Ça me satisfait."
"Ça me va", a ajouté Lando Norris. "Je pense que c'est cool. Surtout en Amérique, il y a tellement de gens qui s'intéressent à la Formule 1 maintenant, simplement parce qu'ils ont regardé Drive To Survive, et je pense avoir fait bonne impression."
Le patron de Norris, Zak Brown, a quant à lui régulièrement vanté les mérites de la série. "Cela a attiré une fanbase plus jeune, une fanbase plus grande", a commenté le directeur de McLaren. "Il y a eu un grand impact aux États-Unis. Je pense que c'est factuel mais légèrement romancé, et c'est ce qu'est la télévision. Je pense que cela correspond aux ambitions de la F1, c'est-à-dire conquérir de nouveaux fans. C'est un franc succès."
Brown a vu juste. Il y a un aspect théâtral que les fans purs et durs n'apprécient peut-être pas entièrement mais, en réalité, ce ne sont pas eux qui sont ciblés par Netflix. Encore une fois, la série n'a pas pour but de faire le bilan de la saison. Mercedes avait ses propres doutes quant à l'impact de Drive To Survive et de la potentielle distraction au moment du tournage de la première saison, en 2018. Mais Toto Wolff a vite compris que les avantages étaient grands et qu'il fallait les maximiser.
"Nous n'étions pas fans de Netflix au début car nous voulions nous concentrer sur la performance en piste, et j'ai eu tort", a reconnu le directeur exécutif de Mercedes F1. "C'est clairement un franc succès. Partout dans le monde, [Drive To Survive] a été le documentaire numéro un de Netflix pendant un certain temps. Cela fait désormais partie de la Formule 1 et l'on peut voir que c'est bénéfique. Nous sommes une discipline sportive et nous devons rester fidèles aux valeurs du sport, sans artifices. Mais le sport est un divertissement et je pense que ces gars-là ont apporté une nouvelle vision, une nouvelle dimension."
À titre anecdotique, en début d'année, l'auteur de cet article a eu une conversation avec l'un des producteurs de Drive To Survive au sujet de l'impact de la série aux États-Unis. Celui-ci a expliqué qu'il y a deux ans, il avait discuté avec une famille américaine dans un hôtel à Austin. Elle était devenue fan d'Esteban Ocon alors qu'elle ne s'intéressait pas à la F1 auparavant. Pour l'expliquer, il faut zapper sur la première saison, lorsque la recherche d'un volant par le Français faisait partie des principales intrigues.
Et selon l'intéressé, Drive To Survive l'a aidé à sauver sa carrière en F1. "[La série] a montré mes moments difficiles, lorsque je n'avais pas de volant, et les gens ont pu voir à quel point j'avais envie de piloter à nouveau", a-t-il expliqué. "Cela a sûrement contribué à réanimer ma carrière. C'est génial que tout le monde ait cet accès de nos jours."
Alors que 140 000 fans se sont rendus sur le circuit d'Austin le jour de la course cette année pour mettre le feu aux tribunes, il faut accepter que les libertés prises dans Drive To Survive offrent bien plus d'avantages que les quelques inconvénients causés. Et comme ce fut le cas lors de la première saison, sans Hamilton et Mercedes, Drive To Survive continuera d'être un succès et continuera d'augmenter le nombre de fans de F1, avec ou sans Verstappen.
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