Monaco : Pourquoi Villeneuve a échoué là où son père a triomphé

Au volant de la meilleure monoplace du plateau, Jacques Villeneuve n'a pas marqué le moindre point au Grand Prix de Monaco en 1996 et en 1997, avec deux des pires courses de sa carrière. Son père Gilles s'était pourtant illustré en Principauté.

Jacques Villeneuve, Williams FW18 Renault

Jacques Villeneuve, Williams FW18 Renault

LAT Images

À Monaco en 1981, Gilles Villeneuve avait remporté la cinquième de ses six victoires en Grand Prix, un succès qui a certainement contribué à écrire sa légende. Le Canadien était parvenu à se qualifier en première ligne avant de triompher dans la plus prestigieuse course de l'année, au volant d'une Ferrari pataude dont le moteur turbo restait éloigné d'un développement optimal. C'était loin d'être le bolide idéal pour tirer son épingle du jeu dans les étroites rues de la Principauté, et pourtant !

Quand Jacques Villeneuve a abordé sa première épreuve à Monte-Carlo en 1996, trois semaines après sa première victoire en F1 au Nürburgring, l'on se demandait s'il allait pouvoir réaliser la même performance que son père. Courant pour Williams aux côtés de Damon Hill, Villeneuve jouait à domicile, ayant grandi à Monaco, et avait déjà roulé sur cette piste en Formule 3 ; il avait également pris de l'expérience sur des circuits urbains en Formula Atlantic et en CART. Or, rien ne s'est passé comme prévu, même l'année suivante.

"C'est la course la plus difficile et la plus facile à gagner", expliquait Villeneuve avant l'édition 1997. "C'est un peu comme Indy. C'est difficile à gagner car il est facile de commettre une erreur, ce n'est donc pas toujours le pilote le plus rapide qui s'impose. Un circuit urbain, d'une certaine manière, est davantage comme du rallye. On imagine toujours à quoi va ressembler un virage. On n'a jamais cette trajectoire ultime, car la piste change légèrement d'une année sur l'autre, le niveau d'adhérence évolue. On n'est pas au niveau ultime de connaissance de la piste comme sur un circuit permanent."

Jacques Villeneuve, Williams FW18 Renault

Septième, Villeneuve devance Salo, Herbert et Häkkinen en début de course

"C'est donc une course étrange, un week-end difficile, puis une grande fête le dimanche. Je me rappelle de Monaco quand je ne courais pas, j'étais en vacances lors du week-end de course, et c'était incroyable. C'est un super week-end pour les gens qui ne travaillent pas, mais pour les écuries et les pilotes, c'est probablement le pire."

"Je pense qu'au niveau des réglages, nous étions complètement à côté de nos pompes l'an dernier. Il faut davantage de temps pour apprendre ou pour trouver le rythme à Monaco que sur les autres circuits. Je connaissais celui-ci de la F3, mais les voitures sont bien plus étroites. Une voiture plus étroite sur un circuit permanent, ça ne change rien, mais entre les murs, ces 20 cm supplémentaires font une énorme différence."

"Damon [Hill] a été rapide d'emblée, et au niveau des réglages, nous avons été contraints d'aller très, très loin de ce que je pensais. Avec mon ingénieur Jock [Clear], nous avons des idées très différentes pour les réglages de cette année. Je ne suis pas sûr que ça va marcher, mais ça devrait."

"Le truc, c'est que j'étais à moins d'une seconde de Damon, comme sur d'autres circuits [en 1996]. Mais sur les autres, Damon était plus d'une seconde plus rapide que les autres. Donc je partais deuxième quand même. Mais à Monaco, ça m'a mis dixième. Tout ce week-end était laborieux. J'étais épuisé comme je ne l'ai jamais été en F1. On n'a pas de place pour travailler. Mais cette année, maintenant que je sais comment c'est, ce ne sera pas un problème..."

Jacques Villeneuve, Williams FW18 Renault devant Heinz-Harald Frentzen, Sauber C15 Ford

La course allait forcément être compliquée depuis la dixième place sur la grille, mais la pluie représentait une opportunité. Or, si Villeneuve s'est tenu à l'écart des rails dans les premiers tours – contrairement à bien d'autres, dont Michael Schumacher – et est ainsi remonté dans le top 5, son passage aux pneus slicks n'a pas porté ses fruits.

"Je ne pouvais rien faire. L'autre problème est que nous avons fait l'arrêt au stand quelques tours trop tard. Je voulais le faire plus tôt, mais c'est l'une des premières fois où nous avons eu une situation mouillé/sec, et ils n'ont pas mis suffisamment de carburant dans la voiture."

"Je ne sais pas pourquoi, mais la télémétrie ne fonctionnait pas, donc l'équipe ne savait pas combien je consommais et ne cessait de me dire d'économiser. J'allais aussi vite que possible, mais en même temps je levais le pied 50 mètres avant la zone de freinage, et Mika Salo était juste derrière moi. Il m'attaquait, mais je ne pouvais pas vraiment me battre."

Villeneuve était désormais pris en sandwich entre la Sauber de Johnny Herbert et la Tyrrell de Salo, cette dernière ensuite dépassée par Mika Häkkinen sur sa McLaren. Or, lorsqu'ils ont rattrapé le retardataire Luca Badoer, Villeneuve s'est accroché avec le pilote Forti.

"J'étais frustré. Tout d'abord, c'était difficile de dépasser, mais je suis sûr que c'est possible : peut-être à la chicane, au Loews, si l'autre fait une erreur. En fait, partout, si l'autre fait une erreur. De temps en temps, je me rapprochais de Johnny, et je me disais que j'allais essayer pendant deux tours, mais il fallait que j'économise du carburant."

Johnny Herbert, Sauber C15 Ford devant Jacques Villeneuve, Williams FW18 Renault, Mika Häkkinen, McLaren MP4/11 Mercedes

Herbert devant Villeneuve et Häkkinen

"Johnny a doublé Badoer et il fallait que moi aussi, car le virage suivant était le Loews, et je ne pouvais dépasser personne à cet endroit, car je n'avais pas suffisamment d'angle sur le volant. Et Häkkinen aurait tenté de me dépasser à cet endroit. Je n'avais pas trop le choix, donc j'ai décidé d'y aller, mais il n'y avait pas assez de place lorsque Luca a décidé de tourner, et nous nous sommes donc touchés..."

Voilà comment s'est achevé un pénible après-midi, Badoer écopant de 5000 € d'amende et de deux courses de suspension avec sursis. Damon Hill a également vécu un cauchemar, leader jusqu'à une casse moteur. Comme Villeneuve, il n'est jamais parvenu à marcher sur les traces de son père Graham Hill, surnommé Monsieur Monaco pour ses cinq succès en Principauté. Et la course a été remportée par Olivier Panis (Ligier), qui partait 14e, quatre places derrière Villeneuve...

Associé à Heinz-Harald Frentzen en 1997, Villeneuve a rapidement pris l'avantage avec quatre pole positions et deux victoires au Brésil et en Argentine, l'Allemand s'imposant lors de la quatrième manche à Imola. Mais encore une fois, en Principauté, rien ne s'est passé comme prévu.

"Je dirais que le point noir, en ce qui nous concerne, c'est principalement Monaco", a admis Villeneuve plus tard cette année-là. "Nous avons raté la stratégie, nous avons fait un grand pari et ça n'a pas payé..."

Les qualifications se sont bien mieux passées qu'en 1996 pour Villeneuve, qui restait toutefois à trois dixièmes du poleman Frentzen et était également devancé par Michael Schumacher.

"Troisième en qualifications, ce n'était pas mal, mais vu comment nous nous étions qualifiés toute la saison, cela paraissait horrible. Mais je n'étais que trois dixièmes derrière, ce qui n'est pas grand-chose sur un circuit où j'étais nul l'an dernier. Et j'ai raté mes tours de qualifications. La voiture était capable de faire un bon chrono, mais j'ai commis des erreurs."

Jacques Villeneuve,  Williams FW19

"Mon point fort sur ce circuit, c'était la section de la Piscine jusqu'à la ligne d'arrivée, et à chaque tour de qualifications, j'ai commis des erreurs dans cette section où j'étais rapide tout le week-end. J'ai vu que j'avais été critiqué pour une mauvaise performance en qualifications, mais en théorie, troisième, ce n'est pas si mal..."

À Monaco, la troisième place du côté propre de la piste peut représenter l'opportunité de se propulser en deuxième position à l'extinction des feux. Cependant, encore une fois, la pluie a joué les trouble-fêtes, avec une piste assez humide au moment du départ. Schumacher a fait un ultime tour de reconnaissance et a décidé de prendre le départ en pneus pluie, tout en ajustant ses ailerons pour avoir davantage d'appui, mais Williams a décidé que Villeneuve et Frentzen allaient rester en slicks. À l'époque, les écuries utilisaient leur propre service météo ; en l'occurrence, les informations n'étaient pas très précises... Il est vrai que McLaren, disposant du même bulletin, a mis Mika Häkkinen en slicks également, mais a au moins parié sur les intermédiaires pour David Coulthard.

"C'est le pilote qui prend la décision finale", a insisté Villeneuve. "Mais on est dans la voiture, sous les arbres, on ne voit pas le ciel avec le parapluie... Ce n'était pas vraiment mouillé sur la ligne de départ/arrivée, mais ça l'était au Casino. Si quelqu'un avait regardé l'écran quand Michael a fait son dernier tour [de reconnaissance], nous l'aurions su."

"C'était du 50-50. J'ai été tenté de mettre les pneus intermédiaires, mais la pluie s'est arrêtée. Alors je me suis dit : 'Il faut être courageux, prendre un risque, et ça pourrait payer'. Précisément quand nous avons commencé le tour de formation, il s'est remis à pleuvoir, et j'ai su que nous étions foutus. Mais c'était trop tard..."

"J'étais à la radio avec Jock, et j'aurais pu rentrer au stand et changer de pneus, mais à ce stade, nous nous sommes dit que quitte à prendre un risque, autant le faire à fond. Nous allions partir derniers de toute façon si nous rentrions au stand, alors autant prendre ce risque. Quand on fait un pari, on le fait à fond. Je me serais sûrement crashé de toute façon. La voiture était très bonne sur le sec mais n'allait pas bien fonctionner sous la pluie."

Jacques Villeneuve, Williams FW19 Renault, suivi par Jean Alesi, Benetton, Mika Hakkinen, McLaren, et Eddie Irvine, Ferrari

Au premier tour, Villeneuve occupe la neuvième place devant Häkkinen, Alesi, Irvine, Hill et Berger

Contrairement à certains de leurs concurrents, Frentzen et Villeneuve sont parvenus à éviter de percuter le rail lors des premiers tours mais ont néanmoins perdu plusieurs places chacun avant de rentrer au stand pour chausser des intermédiaires, se retrouvant en queue de peloton.

"C'était horrible. Il n'y avait rien que l'on puisse faire, on glissait en permanence. Surtout, je savais que c'était une grosse erreur, mais on ne peut pas remonter le temps. Je me suis dit que tout le week-end était désormais gâché. On peut quand même essayer de sauver quelques points, ce que nous avons essayé de faire, mais il y a eu bien moins d'abandons qu'en début de course. Et nous avons fait partie de ces abandons !"

Il a suffi d'une quinzaine de tours au leader Schumacher pour prendre un tour à Villeneuve, et c'est quelques minutes plus tard que ce dernier a été contraint à l'abandon par un contact avec le mur. Frentzen, lui, s'est accidenté dans la 40e boucle alors qu'il était neuvième. Malgré sa suprématie lors des années 1990, Williams n'avait pas gagné en Principauté depuis Keke Rosberg en 1983...

Titré lors d'un dernier Grand Prix mouvementé à Jerez, Villeneuve n'a plus jamais disposé d'une monoplace capable de jouer la victoire, mais a quand même signé quelques beaux résultats à Monaco : cinquième en 1998, puis septième en 2000 et quatrième en 2001 avec BAR. Il fait néanmoins partie des nombreux Champions du monde n'ayant jamais trouvé la clé dans les rues traîtresses de Monte-Carlo.

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