Les approximations qu'Ocon devra éviter avec Alpine et Alonso
Depuis son retour en F1, Esteban Ocon a connu une période difficile. De nouveaux défis l'attendent, puisqu'il a été rejoint par le double Champion du monde Fernando Alonso dans la nouvelle équipe Alpine. STUART CODLING établit une feuille de route à suivre pour franchir ce cap avec succès.
"Commencer fort, c'est bien. Mais terminer fort, c'est épique." Un aphorisme un peu téléphoné qui semble sortir d'un manuel théorique d'auto-motivation, mais qui n'en est pas moins pertinent. Pour Esteban Ocon, c'est un mantra à respecter alors qu'il cherche à préserver l'élan de la saison 2020 qui vient de se terminer ; une saison au cours de laquelle il a débuté une construction sur des fondations chancelantes pour finalement terminer sur un premier podium libérateur lors de l'avant-dernière manche.
Il y a douze mois, on pouvait penser que le duo composé d'Ocon et Ricciardo chez Renault serait potentiellement assez épicé : les deux hommes avaient tous deux connu des épisodes de crispation avec leurs anciens équipiers respectifs et certains observateurs s'attendaient à voir le duo se trouver régulièrement côte-à-côte en piste.
Ricciardo est venu chez Renault après avoir senti l'amour de Red Bull pencher inexorablement du côté de Max Verstappen, notamment après leur fameux couac à Bakou, en 2018. Chez Racing Point, Ocon et Sergio Pérez avaient formé le partenariat le moins amical en piste depuis Ralf Schumacher et Juan Pablo Montoya chez Williams, au milieu des années 2000 – au point d'être menacés de sanctions par l'équipe s'ils continuaient à se percuter. Chez Renault, la nationalité d'Ocon pouvait aussi laisser penser qu'un certain favoritisme, même inconscient, pourrait se former autour de lui au sein d'une organisation Renault fièrement placée sous pavillon français.
Ces hypothèses (ou craintes) se sont évanouies au cours d'une saison 2020 durant laquelle Ricciardo a généralement exhibé son aileron arrière à Ocon lors des qualifications et des courses. Et lorsqu'ils se sont battus pour la même portion d'asphalte, c'est généralement en raison de stratégies décalées. Ce n'était pas tout à fait le retour en force qu'Ocon aurait pu espérer et l'expérience du Normand a mis en lumière la difficulté de trouver les derniers dixièmes d'une F1 et ce qui peut faire la marginale différence entre un vainqueur de GP et un pilote aguerri. Il s'agit-là de marges que l'on trouve non pas par bravoure et talent naturel uniquement, mais en passant au crible des données et en extrayant des fragments d'informations utiles à tous les niveaux, également à renfort d'expérience et de stabilité mentale.
"Je pense que le plus grand défi a été de revenir à la vitesse de croisière - et rapidement", concède Ocon. "On peut en quelque sorte reprendre la cadence, mais les derniers détails prennent plus de temps. Ce qui a été difficile la saison dernière, c'est que nous avons fait trois courses, puis une semaine de pause, puis trois autres courses. Nous avons donc eu un temps limité pour analyser et revenir plus forts pour la suivante par rapport à une saison normale. Mais je dirais que notre progression a été bonne et que nous en sommes assez satisfaits. Ce que je veux dire, c'est que nous avons terminé l'année beaucoup plus forts qu'au début, et c'est ce que nous devons prendre en compte pour la prochaine saison. Il faut partir de là, de ce niveau beaucoup plus élevé. Daniel [Ricciardo] a évidemment fait un pas en avant entre sa première année chez Renault et sa deuxième et je cherche à en faire de même."
Dans une interview accordée à GP Racing l'année dernière, Lando Norris a expliqué comment il avait utilisé la trêve forcée du premier confinement provoquée par le COVID-19 au Royaume-Uni pour analyser les nuances des données de la saison précédente. Un luxe que n'a pas eu Ocon, puisqu'il avait passé 2019 comme pilote de réserve Mercedes : le Français n'avait donc pas de performance personnelle en GP à examiner de cette façon. S'est posée aussi la difficulté de devoir établir des relations dans une équipe différente, avec à ses côtés un pilote solide se trouvant dans sa deuxième année au sein de celle-ci, sans parler de l'obstacle supplémentaire constitué par les nouveaux protocoles de distanciation sociale et de port de masque.
"La saison a été très dure car nous n'avons pas pu aller autant que nous le voulions à l'usine pour faire des analyses, des corrélations avec le simulateur et des préparations pour les courses", explique Ocon. "En raison des restrictions de voyage, des règles de quarantaine, etc., j'ai probablement passé 50% de temps en moins à l'usine ou sur le simulateur que je n'aurais pu le faire autrement. Cela n'a donc pas aidé mais ce n'est pas une excuse car tout le monde se trouve dans la même situation. Au final, j'ai trouvé mon chemin et j'ai été beaucoup plus à l'aise ces derniers temps qu'au début de la saison dernière."
"Être [observateur] pendant un an puis revenir dans une nouvelle équipe n'est pas une chose facile. Ce que j'ai appris de cette dernière année est crucial – travailler d'une manière différente de ce que j'ai fait avec mes équipes précédentes et trouver les bons mots." Les relations clés comme celles entre le pilote et son ingénieur, ainsi qu'entre le pilote et le reste du personnel de piste, prennent naturellement du temps à s'installer. Lors des premières courses de la saison dernière, il est apparu que les voitures ne développaient pas tout leur potentiel : Ocon se qualifiait avec deux dixièmes de retard en moyenne sur Ricciardo et est souvent resté aux portes de la Q3, ce qui a limité ses choix stratégiques pour les courses.
Dans la première moitié du GP de Styrie, où Ocon a devancé Ricciardo pour la première des deux seules fois de la saison en qualifications, il y a eu une curieuse phase dans laquelle Ocon s'est battu pour défendre la sixième place contre son équipier australien alors qu'il se trouvait en pneus tendres dégradés et que le #3 poussait fort sur des mediums disposant d'une durée de vie encore prolongée. En l'absence de consignes d'équipe, Ricciardo a dû se frayer un chemin, perdant quatre tours puisque Carlos Sainz, cinquième, s'éloignait. Ocon a finalement abandonné six tours plus tard lorsqu'une soudure du radiateur l'a lâché. Après la course, Ricciardo a déclaré qu'il croyait que les consignes de l'équipe "allaient arriver", mais leur retard pouvait laisser spéculer : le team était-il incertain de la réponse d'Ocon aux ordres, ou le muret des stands avait-il des doutes sur la capacité de Ricciardo à réellement tirer profit d'une facilité à dépasser Ocon ?
Bien que l'écart entre les pilotes Renault lors des qualifications au cours du premier semestre 2020 ait été relativement faible, il a eu tendance à avoir un effet disproportionné sur les résultats car Ricciardo a régulièrement participé à la Q3 et pas Ocon. Le Français a donc été contraint de compenser au niveau stratégique et de prendre le départ avec des pneus plus durs dans l'espoir de gagner des places en piste alors que ceux qui étaient immédiatement devant lui avec des pneus plus tendres commençaient à éprouver des difficultés.
Par conséquent, il y a eu plusieurs moments où Ricciardo, qui avait opéré son premier arrêt, a dû de nouveau dépasser son coéquipier en piste alors que celui-ci commençait à manquer d'adhérence sur une gomme vieillissante…ce qui a ajouté à l'impression que l'Australien avait le dessus. Dans ce qui est devenu une saison à deux mi-temps, Ocon a réduit son déficit de rythme moyen en qualifications à un dixième de seconde. S'il y a eu un tournant, on pourrait le rattacher au week-end du GP d'Italie, où les frustrations ont fait surface.
Pendant la période du drapeau rouge qui a défini l'issue de la course, Ocon a finalement choisi des pneus usés plutôt que neufs afin d'être plus fort au redémarrage, bien que la conversation radio entre lui et l'ingénieur vétéran Mark Slade (qui a permis à Mika Häkkinen de remporter deux championnats du monde chez McLaren et qui a ensuite travaillé avec Kimi Räikkönen chez McLaren puis "Team Enstone") ait révélé une certaine incertitude initiale quant au nombre de tours pouvant être effectués par les pneus usés. Ocon s'est ensuite distrait en se renseignant sur ce que faisait Ricciardo et en chicanant sur le nombre de positions qu'il avait perdues à la suite du double arrêt des pilotes par Renault dans les stands sous le Safety Car, avant le drapeau rouge.
Informé que Ricciardo allait prendre le départ sur des médiums, Ocon a décrit cela comme "le bon choix" – mais les seuls mediums à sa disposition étaient un train usé qui n'avait pas été placé dans les couvertures chauffantes et qui était trop froid pour être utilisé. Ocon s'est bien comporté au redémarrage, pour ensuite s'effacer dans les derniers tours, bien que sa huitième place ait représenté un gain net par rapport à la douzième sur la grille. Un échange vif a suivi à la radio pendant le tour de décélération, alors qu'Ocon s'insurgeait contre le choix des pneus, mais Slade et le directeur de l'équipe, Cyril Abiteboul, lui ont demandé de ne pas se laisser aller à ses sentiments sur un canal radio ouvert.
Quoi qu'il se soit passé à huis clos par la suite, Ocon a commencé à trouver plus de vitesse pendant les qualifications, ce qui lui a donné une plate-forme pour mieux performer pendant la deuxième moitié de la saison. Au Mugello, il a réalisé une course solide avant d'être éliminé par une panne de freins ; puis, au Portugal, lors d'une course aberrante où le fait de partir avec un composé pneumatique plus dur a rapporté des dividendes à ceux qui pouvaient les faire durer, il a bouclé 53 tours sur les mediums pour terminer huitième – devant Ricciardo, qui était parti une place devant.
Ironiquement, c'est peut-être l'incapacité d'Ocon à atteindre la Q3 qui l'a mis sur la voie de son meilleur résultat avec la deuxième place du Grand Prix de Sakhir. Une fois de plus, le Normand a effectué un long premier relais sur un pneu plus dur, ce qui lui a permis de se placer en piste avant le Safety Car déclenché par la sortie de Jack Aitken en fin de course. Quatrième en début de course, Ocon a gagné deux places grâce à la désorganisation de Mercedes et, bien qu'il n'ait jamais représenté une menace sérieuse pour le nouveau leader de la course Sergio Pérez, une bonne maîtrise du nouveau départ lui a garanti son plus solide résultat en carrière.
"Je pense que l'entente avec mon côté du garage était beaucoup plus forte à la fin de l'année", analyse Ocon. "Nous avons trouvé une bien meilleure façon de construire le week-end, en amenant la voiture là où je voulais qu'elle soit. Au début de l'année, je donnais probablement des indications qui n'étaient pas optimales pour la voiture que j'avais, et l'entente n'était pas fantastique entre moi et le garage. Nous faisons cela beaucoup mieux maintenant, tout est bien compris et nous sommes beaucoup plus forts tous ensemble". Maintenant, Ocon va faire face à Fernando Alonso dans le garage voisin, sans doute l'une des grandes bêtes de la F1, même s'il revient après deux saisons de compétition ailleurs, et qu'il approche maintenant de son 40e anniversaire. Alonso apporte un bagage non seulement historique, sous la forme de ses deux championnats du monde mais aussi sa réputation bien établie d'agitateur de situations de crise, mais c'est sur son image actuelle que mise Alpine, qui a engagé l'Espagnol comme figure de proue d'une équipe aux ambitions marketing importantes et dans la mouvance de ce qui a été appelé par le nouveau PDG de Renault, Luca de Meo, une "Renaulution".
En piste, Ocon a déjà roulé avec Alonso, lors de la période passée par McLaren dans le milieu de plateau en 2017 et 2018, et le décrit comme "dur mais juste". Il n'a pas encore fait l'expérience de l'intensité que celui-ci apporte aux opérations hors piste. Lorsqu'on lui demande quelles sont ses attentes en matière de travail avec Alonso, Ocon fait preuve de diplomatie : "J'ai une excellente relation avec Fernando et beaucoup de respect pour lui aussi. Je m'entends bien avec lui, il n'y a donc aucun problème."
Mais avec des attentes venant d'en haut à satisfaire, et un animal hyper compétitif comme nouvel équipier, Ocon va devoir commencer et finir fort s'il veut que sa saison 2021 soit vraiment épique.
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