Il y a 15 ans, Brawn GP provoquait la stupeur à Melbourne
Il y a 15 ans jour pour jour, le 29 mars 2009, Jenson Button et Rubens Barrichello signaient un retentissant doublé en ouverture de la saison 2009, au Grand Prix d'Australie. Le début d'une aventure singulière.
Pour resituer le contexte de l'aventure Brawn GP, il faut rappeler que Honda avait brusquement décidé de stopper son engagement en Formule 1 à l'issue de la saison 2008, et que l'équipe avait été sauvée in extremis par Ross Brawn et Nick Fry, les deux hommes concluant un accord avec Mercedes pour installer le bloc allemand dans le châssis déjà conçu pour 2009. Un championnat dont la première moitié allait être dominée par la BGP 001, jusqu'au titre mondial des pilotes et des constructeurs, grâce notamment à l'innovation qu'était le double diffuseur. À la surprise générale, mais aussi des principaux intéressés !
"Nous savions que ce serait une bonne voiture, car nous y avions dédié beaucoup d'efforts et nous avions commencé tôt", se souvient Andrew Shovlin, à l'époque ingénieur de course de Jenson Button. Dans le podcast Beyond the Grid diffusé en 2021, il insiste sur le niveau de performance inattendu de la monoplace : "L'année précédente, à Hockenheim, à peu près à la mi-saison, nous avons dit : 'OK, nous allons oublier 2008 et nous concentrer sur la nouvelle réglementation de 2009'."
"Mais vraiment, le seul moment où nous avons commencé à penser qu'elle était vraiment rapide, c'est quand nous ne sommes pas allés faire d'essais et que tout le monde y était, à Portimão. Il y avait une Toro Rosso [de 2008] et elle était de loin la plus rapide… et nous avions à peu près récupéré toute la performance et [nous estimions] que nous serions aussi rapides avec notre voiture. On a commencé à se dire : 'Attendez une minute, ça veut dire que nous sommes presque deux secondes plus rapides que n'importe qui d'autre'. À ce moment-là, on a pensé que nous avions dû nous tromper dans nos calculs… Rien ne nous y préparait lorsque nous avons commencé à rouler à Barcelone [en essais], et là c'était : 'Oh mon dieu, elle semble vraiment rapide'."
La Brawn BGP 001.
En 17 Grands Prix d'existence, avant sa vente à Mercedes, Brawn GP a raflé huit victoires – dont quatre doublés –, cinq pole positions et 15 podiums, avec les deux titres mondiaux à la clé. "Cette année-là… c'est à elle seule une vie entière de souvenirs", confie James Vowles, responsable de la stratégie à Brackley en 2009. "Chaque Grand Prix avait quelque chose… chaque Grand Prix comportait un ensemble unique de souvenirs, qui sont ancrés en nous pour toujours, et ça ne changera pas. Ce sont des sentiments extraordinaires par rapport à la plupart des autres."
L'exploit de Brawn GP tient aussi dans le manque de préparation avec lequel a parfois dû composer l'écurie à l'époque, puisque la reprise en main s'est faite très tardivement. Même si la monoplace était un diamant brut, il fallait pouvoir l'exploiter au mieux, et cela a conduit à des événements quelquefois cocasses.
"Nous avons signé un doublé [au premier Grand Prix, à Melbourne], et nous ne le méritions certainement pas car je crois que nous étions premier et quatrième car nous avions fait deux arrêts au stand catastrophiques", raconte le directeur sportif Ron Meadows. "Mais Seb [Vettel] et Kubica se sont accrochés dans les derniers tours."
"Le problème que nous avions concernait le ravitaillement en carburant : notre ravitailleur habituel des années précédentes avait quitté l'équipe dans le cadre des licenciements. Nous voulions le garder, mais il avait décidé de partir pour devenir plombier. Après Melbourne, on a réalisé qu'il fallait faire des changements. Je l'ai appelé et il est venu pour les dimanches. Il prenait l'avion le samedi soir, il faisait les ravitaillements, puis immédiatement après la course il rentrait chez lui pour reprendre son boulot de plombier."
Les coulisses racontés par Button
Jenson Button après sa victoire à Melbourne en 2009.
Photo de: Sutton Images
Titré en 2009, Jenson Button aura passé sept saisons au sein de la structure de Brackley, d'abord trois sous le nom de BAR – avec la troisième place du championnat 2004 – puis trois autres lorsque Honda a racheté l'écurie, toutefois avec un très maigre succès : une seule victoire, au Grand Prix de Hongrie 2006.
"C'était un choc énorme, j'étais loin de m'en douter. Très loin", se rappelle-t-il en évoquant le jour où Honda a décidé de quitter la F1. "Même s'ils ont des difficultés, on ne se dit jamais qu'ils vont tout laisser tomber. 'On part, on quitte le sport auto comme beaucoup d'autres constructeurs'. C'était un grand choc."
"J'étais en train de m'entraîner à Lanzarote, je suis revenu en meilleure forme que jamais, nous étions à l'aéroport de Gatwick [à Londres, ndlr] et allions récupérer nos bagages et nos vélos, et c'est là que j'ai reçu un sms de Richard [Goddard, son manager] qui demandait que je l'appelle immédiatement. 'J'ai une mauvaise nouvelle, Honda s'en va'. 'Quoi ? C'est fini ?'. 'Oui, c'est fini'."
Or, la marque nippone avait lancé des ressources considérables dans le développement lié à la nouvelle réglementation de 2009. Le moteur Mercedes a été péniblement intégré à une monoplace conçue pour le groupe propulseur Honda, et celle-ci a fait ses premiers tours de roue peu avant le terme des essais hivernaux.
"Honda avait quand même investi beaucoup d'argent pour la nouvelle voiture, beaucoup d'argent", poursuit Jenson Button. "En se promenant dans l'usine, en discutant avec les gens en soufflerie, on pensait que la voiture allait être très bonne. Au début, on ne savait pas à quel point, car la réglementation était complètement nouvelle et nous ne savions pas ce que les autres allaient construire, mais nous pensions nous en être bien tirés."
"Au début, nous pensions que nous allions être deux secondes plus lents avec la nouvelle réglementation, mais nous étions finalement aussi rapides qu'en fin d'année précédente. Est-ce que cela signifiait que notre voiture 2008 était vraiment mauvaise ou que celle de 2009 était géniale ? Nous ne le savions pas encore à ce moment-là !".
"Il y avait un excellent sentiment quant à cette saison 2009, et c'est pour ça que tout le monde a travaillé si dur pour faire survivre l'équipe. Non seulement parce qu'il y avait plusieurs centaines d'emplois en jeu, mais aussi parce que la voiture avait l'air bonne."
Le doublé Brawn GP à Melbourne en 2009.
Photo de: Sutton Images
Au moment du shakedown sur une version courte du circuit de Silverstone, Jenson Button n'était donc pas conscient d'avoir l'arme fatale entre les mains. "Tout ce que je savais, c'est que nous n'avions pas eu le moindre problème", souligne le Britannique, qui était à nouveau associé à Rubens Barrichello. "D'habitude, la première fois que la voiture prend la piste, il y a des soucis de fiabilité, on passe beaucoup de temps au garage. Nous n'avons rien eu, tout s'est passé sans accroc, malgré une unité de puissance qui n'était pas adaptée à cette voiture – elle n'était pas parfaitement installée."
Après avoir manqué la plupart des tests de pré-saison, Brawn GP s'est joint aux autres écuries pour l'ultime roulage, à Barcelone. "Je suis monté dans la voiture et j'étais ravi d'être dans une F1, d'avoir un job !", sourit Button. "J'ai fait quelques tours chronométrés, je suis rentré et j'ai dit à Shov [Andrew Shovlin, ingénieur de course de Button] que je n'étais pas ravi de l'équilibre, qu'il fallait améliorer le train arrière dans les virages rapides, le train avant dans les virages lents."
"Il m'a regardé et il souriait, je me demandais pourquoi. Il m'a dit : 'On est les plus rapides'. 'Comment ça, on est les plus rapides ? Les autres n'ont sûrement fait que des tours d'installation, ils n'ont pas fait de chrono'. 'Si si, tout le monde en a fait, tu es quatre ou cinq dixièmes plus rapide que tout le monde'. Nous avons travaillé les réglages, avons repris la piste et étions presque une seconde plus rapides que tout le monde."
"Parce que c'était une nouvelle voiture, nous roulions avec peu d'essence, car nous ne pensions pas que nous allions être rapides. Les autres avaient sûrement 30 kg ou 40 kg de carburant. Nous avons donc fait le plein, sommes ressortis et étions encore relativement compétitifs. Nous n'avions pas une seconde dans la poche… ou plutôt nous l'avions, mais nous ne le montrions pas !".
Dominateur, Button a remporté six des sept premiers Grands Prix de la saison, mais Red Bull développait sa monoplace à un rythme effréné sous la houlette d'Adrian Newey et n'a pas tardé à prendre l'avantage. Button n'a ainsi plus gagné après la course turque, début juin.
"C'était l'année d'une nouvelle réglementation, donc les équipes progressaient en permanence", analyse l'Anglais. "Si l'on restait immobile, on reculait. C'était notre gros problème, nous étions très loin de développer suffisamment. Une fois que nous nous sommes rendu compte que nous étions en train de reculer, c'était trop tard. Par exemple, si l'on veut un développement pour la septième course, il faut le lancer dès la première. Cela prend des mois de faire passer les trucs en soufflerie et de les faire construire pour les mettre sur la voiture. Trois mois."
"L'équipe avait le budget, mais je ne pense pas qu'elle voulait le dépenser. Quand nous nous sommes rendu compte qu'il fallait le dépenser, nous avions trois mois de retard. Nous n'avons eu qu'une véritable évolution, c'est tout, lors d'une saison avec une nouvelle réglementation. J'ai vu un article l'autre jour où quelqu'un disait que sur l'ensemble de la saison, la meilleure voiture était la Red Bull, que c'était la voiture qui a vraiment changé la manière dont les gens ont travaillé l'aérodynamique lors des années suivantes. Je le comprends, mais il y avait des choses très spéciales sur la Brawn, et pas seulement le diffuseur : du nez au train arrière, elle était extrêmement détaillée."
Le travail des ingénieurs à Brackley aura en tout cas porté ses fruits, Jenson Button étant sacré avec 11 points d'avance sur Sebastian Vettel. Ce succès allait lui ouvrir les portes de l'écurie McLaren et de nombreuses autres victoires en Grand Prix.
VIDÉO - L'arrivée retentissante de Brawn GP en F1
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