Interview

L'inspirant témoignage de résilience de Robert Kubica

Quand on regarde la deuxième carrière de Robert Kubica en Formule 1, la tristesse peut vite prendre le dessus. Mais dans un tel contexte, les performances et les résultats ne sont pas ce qu'il y a de plus important…

Robert Kubica, pilote d'essais et de réserve, Alfa Romeo Racing

Tant que l'on n'a pas pris le temps de discuter avec lui, il est difficile de mesurer pleinement ce que Robert Kubica a traversé ces dix dernières années. Même après, même avec l'écoute la plus compatissante possible, on ne peut pas vraiment savoir comment il a fait, comment cet homme s'est sorti du désespoir, jusqu'à revenir sur un circuit de Formule 1. La seule personne qui le sait vraiment, c'est lui-même. C'est d'autant plus évident lorsqu'il évoque, avec une sincérité rafraîchissante, comment il a remonté la pente depuis l'accident de rallye qui, en 2011, a stoppé sa carrière prometteuse et failli lui coûter la vie.

Nous étions réunis pour parler de son job de réserviste chez Alfa Romeo et de ses récentes piges en Grand Prix, lorsqu'il a remplacé Kimi Räikkönen aux Pays-Bas et à Monza. Mais la discussion a pris un tournant inattendu lorsque nous lui avons demandé de comparer le pilote qu'il est aujourd'hui à celui qu'il était avant son accident. Ce qui suit est un aperçu fascinant du pouvoir qu'a la détermination d'un homme et sa volonté de réussir.

"Eh bien, avant toute chose, c'est impossible de vraiment comparer", dit-il. "La difficulté pour moi, surtout en F1, a été de revenir après de très nombreuses années. La F1 était complètement différente. D'un côté, j'étais un pilote expérimenté, mais franchement, j'étais comme un nouveau venu. Mais la difficulté principale, c'est que c'était une année difficile pour Williams [en 2019]. Il m'a manqué la possibilité de piloter encore et encore avec quelque chose de fiable, de compétitif."

Robert Kubica a fait son retour en Grand Prix avec Williams en 2019.

Robert Kubica a fait son retour en Grand Prix avec Williams en 2019.

"La Formule 1 a changé, donc on ne peut pas comparer. Avant mon accident, j'ai connu de grandes années, notamment en 2008 et 2010. Ma meilleure année était probablement 2010 chez Renault, j'ai vraiment fait une grosse saison, très régulière. C'est impossible de comparer et franchement, je ne me souviens pas vraiment comment j'étais. Et c'est très positif parce qu'avec mon handicap, j'ai dû accepter qui je suis. J'ai dû trouver une manière de piloter, d'avoir des résultats, différemment. Car à de très nombreuses occasions – pas seulement au volant d'une voiture mais dans la vie quotidienne – je peux presque tout faire, mais différemment."

"C'était fondamental pour que ça devienne une force mentale. Car au début, après mon accident, j'essayais de tout faire exactement comme je le faisais avant, et je n'y parvenais pas. Et je m'énervais, j'étais… vous savez, c'était décevant. Je suis content de ne pas me souvenir comment j'étais, car ça veut dire que j'ai bien travaillé là-dessus et que mon cerveau a désormais accepté comment je suis aujourd'hui. Bien sûr, de l'extérieur ça paraît complètement différent et je peux me mettre à la place du public, pour qui ce n'est pas normal de piloter une voiture de course avec ce handicap. Mais c'est ainsi que je suis désormais, c'est ma vie. Et malheureusement, je ne peux rien y changer. Je dois l'accepter. Et je dois aller de l'avant avec ça."

Après son terrible accident en rallye, Kubica a subi trois mois d'interventions médicales urgentes car les médecins ont tout fait pour réparer son bras droit et sa main droite, en plus de traiter de multiples autres fractures. Puis a suivi une longue et dure convalescence, jusqu'à un retour en F1 en 2019. Ce processus a été tout sauf simple mais Kubica apparaît aujourd'hui en paix avec lui-même.

Son retour en F1 avec Williams l'a refroidi mais depuis, Kubica s'est ouvert à d'autres horizons. Piloter l'Alfa Romeo lors des essais hivernaux 2020 lui a ouvert les yeux sur ce que devait être une F1 moderne et il a ensuite roulé en DTM, aux 24 Heures du Mans et en ELMS, championnat qu'il a remporté cette année avec l'équipe WRT et ses coéquipiers Louis Delétraz et Yifei Ye en LMP2. Peu importe ce qui aurait pu et dû se passer en F1, le simple fait que Kubica puisse à nouveau courir en étant compétitif à un niveau aussi élevé constitue un exploit stupéfiant de persévérance humaine.

Il n'a manqué qu'un tour pour que Robert Kubica s'impose aux 24 Heures du Mans en LMP2.

Il n'a manqué qu'un tour pour que Robert Kubica s'impose aux 24 Heures du Mans en LMP2.

"Dans chaque sport, et pas seulement en sport mais aussi dans la vie quotidienne, nous sous-estimons le pouvoir d'un outil comme notre cerveau", avance Kubica. "Souvent, aussi, nous pensons qu'il y a des limites, mais en fait nous nous les mettons nous-mêmes, inconsciemment. Parfois ça demande plus d'énergie, parfois ça demande plus de temps, parfois ça demande de tout apprendre de zéro. Après mon accident, il y a des choses que j'ai dû réapprendre comme un enfant. La différence c'est que, lorsque vous êtes un enfant, vous grandissez, vous faites vos premiers pas, vos premiers tours de vélo, et vous ne vous en souvenez pas car c'est très actif."

"Je me suis retrouvé à apprendre beaucoup de choses en repartant de zéro et mon cerveau a dû s'adapter, découvrir. J'ai aussi dû apprendre à connaître mon corps. J'étais droitier [avant l'accident]. Tout à coup, une fois la période d'urgences médicales passée et en reprenant ma vie quotidienne, après de nombreuses opérations, après avoir été à l'hôpital, après avoir été en fauteuil roulant, j'ai commencé à faire mes premiers pas comme un enfant. Parce qu'en fait, pendant de très longs mois, je n'avais pas marché. Et quand tu te lèves après des mois, tu as oublié comment marcher, ce n'est plus naturel."

"Tu comprends ensuite que nous faisons tout naturellement. Et c'est pareil pour le pilotage. Je suis parti loin mais c'est pour vous faire comprendre que le pilotage est naturel. Pour moi, quand je pilote la voiture aujourd'hui, je ne sais pas comment je le fais. Car c'est naturel. Je suis sûr que si je vous demande comment vous faites du vélo, comment vous marchez, vous ne le savez pas ; vous marchez sans y réfléchir. C'est pareil pour le pilotage."

"Ma plus grande réussite, je crois, c'est quand j'ai fait mes premiers pas [en revenant] en F1. Tout le monde attirait l'attention sur mon handicap. Et ce fut probablement mon plus grand combat. J'ai entendu tellement d'histoires selon lesquelles je ne pouvais faire ci ou ça, comme quoi c'était impossible. Il y a des gens qui disaient : 'Il ne peut pas faire le premier tour après le départ'. C'est normal, car ce n'est pas quelque chose de commun et les gens ne comprennent pas vraiment, car ils n'ont jamais été dans cette situation."

Robert Kubica a remporté l'ELMS cette année avec Louis Delétraz et Yi Yifei.

Robert Kubica a remporté l'ELMS cette année avec Louis Delétraz et Yi Yifei.

"C'est pourquoi lorsque je dis que je veux apprendre mon corps, ou disons apprendre à partir de zéro, c'est aussi pour comprendre ce qui est possible, ce que je peux réaliser... Et tout le processus pour revenir en F1 était beaucoup plus… pas complexe, mais je n'ai jamais fait deux pas, je n'en faisais qu'un [à la fois], et un très petit. C'était aussi pour ne pas créer trop d'attentes pour moi-même, ni d'espoir ou de certitude de revenir."

"Non. D'abord, j'ai fait du simulateur, puis de la Formule 3, étape par étape pour mettre mon corps dans ces situations qui étaient normales pour moi avant l'accident. Les plus gros résultats dans ma convalescence, je les ai eus quand j'ai commencé à piloter et à le faire fréquemment, probablement parce que pour mon corps, c'était un environnement où il se sentait comme chez lui, un environnement naturel. C'est comme un poisson dans l'eau : je courais et je pilotais depuis l'âge de dix ans, en karting, donc c'était mon mode de vie, et c'est aussi là que je me sens le mieux."

"Je me souviens, quand j'ai testé pour la première fois une F1 avec Renault à Valence, je savais avant de monter dans la voiture que je pouvais physiquement le faire, car je pouvais m'y préparer, mais j'avais un gros point d'interrogation quant à ma capacité mentale car j'avais été éloigné de la F1 pendant très, très longtemps. Et puis après deux ou trois tours à Valence, c'était probablement l'un des plus beaux jours de ma vie, tout simplement sur le plan émotionnel, en réalisant que, wow, je pouvais vraiment le faire. C'était une sorte de soulagement."

"Après, bien sûr, il fallait faire 20, 30, 60 tours, et j'en ai fait plus que ça à Valence. Mais plus tu vas loin, plus c'est difficile. Je suis toujours resté concentré et très réaliste sur le fait que je ne me forcerais pas à revenir en F1 si je ne me sentais pas capable de le faire. Et je ne le dis pas par rapport à la performance, seulement au niveau physique avec mon handicap. C'est pour ça, quand j'ai vu toutes ces histoires… En fait, je savais avant d'aller à Monaco en 2019 – je le savais depuis 2017 après tous les tests – que ce serait l'un des circuits les plus simples pour moi. Les gens pensaient le contraire. Et je le comprends… tu es seul dans cette situation. Personne ne peut vraiment juger, tu es le seul à pouvoir juger : 'Oui, je peux le faire ; non, je ne peux pas le faire'."

Kubica est réaliste quant à ce que l'avenir lui réserve. "Je ne suis pas un utopiste", affirme-t-il. Et il accepte l'idée de ne plus courir à temps plein en Formule 1. Mais quelle que ce soit la suite, ce Robert Kubica 2.0 mérite d'être salué pour avoir transformé une tragédie en une inspirante histoire de résilience. C'est un pilote qui, sans aucun doute, mérite le plus grand respect.

Robert Kubica a remplacé Kimi Räikkönen lors de deux GP en 2021.

Robert Kubica a remplacé Kimi Räikkönen lors de deux GP en 2021.

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