Quand Stirling Moss donnait une leçon sur le pilotage

Remémorons-nous quelques souvenirs marquants de Stirling Moss, légende du sport automobile, qui nous a quittés l'an dernier à l'âge de 90 ans.

Stirling Moss, Maserati 250F

Stirling Moss, Maserati 250F

LAT Images

Il y a une vingtaine d'années, j'ai aperçu Stirling Moss dans une Maserati T61 'Birdcage' lors d'un événement historique à Silverstone. C'est le modèle avec lequel Dan Gurney et lui avaient écrasé la concurrence aux 1000 Kilomètres du Nürburgring en 1960, avec un pare-brise qui laisse bien voir le travail du pilote dans le cockpit. Et quand ce pilote est Stirling Moss, c'est le moment de regarder et d'apprendre.

Je me suis placé à l'intérieur de l'enchaînement Maggots-Becketts et j'étais en admiration devant un as qui, approchant des 70 ans, semblait avoir conservé tout son talent, avec une trajectoire précise et bien maîtrisée par l'accélérateur. Le contraste avec les amateurs, au coup de volant irrégulier dans des bolides similaires, était immense.

De surcroît, Moss était rapide. Je ne sais pas ce qui s'est passé en qualifications pour qu'il soit hors du top 40 sur la grille, mais au sein d'un peloton certes très hétéroclite, il est remonté dans le top 10 en quatre tours.

ABOVE: The most popular addition at any historic meeting, here Moss demonstrates his  1955 Mille Miglia-winning Mercedes-Benz 300SLR.
TOP: Winning the 1956 Italian Grand Prix at Monza in his personal favorite – a Maserati 250F.

Quelques années plus tard, je me suis rendu à Londres pour interviewer le quadruple vice-Champion du monde de Formule 1 à son domicile. Puisqu'il ne me connaissait pas du tout, il paraissait plus simple d'être accompagné par l'un de ses amis de longue date, le journaliste Simon Taylor, qui a depuis lors écrit une belle biographie avec lui.

Nous y avons passé quelques heures, et malgré l'aisance de Moss face aux inconnus, la présence apaisante de Simon et l'hospitalité chaleureuse de Susie Moss, j'étais indéniablement intimidé. Comment ne pas l'être face au palmarès établi par cet homme en si peu de temps et à sa volonté, rare parmi les pilotes, de monter dans n'importe quel bolide pour le pousser à la limite ?

Puis, en 2004, j'ai écrit un article pour Autosport sur les plus grands pilotes polyvalents. Il y a naturellement eu des mentions honorables pour Jim Clark, A.J. Foyt, Dan Gurney, John Surtees et Parnelli Jones, mais j'ai dû trancher entre Mario Andretti et Moss, finalement en faveur de l'Américain, car le Britannique ne s'est jamais essayé à Indianapolis. Je suis certain qu'il y aurait excellé, mais avec des si...

La même année, j'ai eu la chance d'être assis à côté de Moss aux Autosport Awards, juste avant la publication de l'article en question. Je l'ai donc averti de mon verdict, non sans embarras. Loin d'être offensé, il a acquiescé : "Mario était remarquable, n'est-ce pas ? On voit pourquoi toutes les meilleures écuries de l'époque le voulaient. Il était un pilote agressif en piste – j'appréciais ça – mais savait aussi très bien analyser ce que faisait sa voiture. C'était assez rare de trouver un pilote de pointe capable de faire les deux. Je suis sûr que c'est pour ça que [Colin] Chapman [fondateur de Lotus, ndlr] avait une telle estime pour Mario."

Sans surprise, la soirée a été un délice. Quiconque pense qu'un ego surdimensionné est nécessaire pour gagner n'a jamais eu la chance de pouvoir discuter avec Moss. Ce dernier n'a mentionné ses propres expériences que lorsque je l'interrogeais à leur sujet. Il préférait discuter de la Formule 1 contemporaine, des raisons pour lesquelles aucun constructeur ne venait se mesurer à Audi au Mans, et des atouts et défauts du Champ Car et de l'IRL. Quant à moi, je n'avais qu'une envie : lui demander comment il avait bien pu vaincre l'excellent Juan Manuel Fangio avec plus de trois minutes d'avance lors du seul Grand Prix de Formule 1 disputé à Pescara. Je n'allais pas laisser passer l'opportunité de comprendre ce qui faisait de cette légende l'un des meilleurs pilotes de tous les temps.

Les plus grands pilotes ont suffisamment confiance en leur talent pour hisser une voiture jusqu'à sa limite "naturelle" avant de repousser cette limite jusqu'à un stade où ce talent devient le facteur décisif. C'est exactement ce que Moss décrit avoir fait dans sa Lotus 18 au Grand Prix de Monaco 1961 face aux Ferrari 156 qui le poursuivaient (voir vidéo ci-dessus), mais ce n'était certainement pas la seule fois. Et il avait atteint cette maîtrise bien avant que sa carrière n'arrive à une conclusion prématurée, à Goodwood en 1962, à l'âge de 32 ans.

"Vous avez raison dans la mesure où l'idée est de toujours essayer de repousser la limite plus loin que les autres", m'a-t-il répondu, "mais je dirais qu'il y a différentes manières de le faire. Ces jours-ci, on pourrait étudier les données collectées par l'équipe et voir dans quels virages on peut s'améliorer. C'est merveilleux de voir ce qui est disponible maintenant pour peaufiner ses performances."

"Je le dirais ainsi : pour moi, l'une des choses les plus importantes était d'être à l'aise quand je pilotais à la limite. Plus cela devient naturel d'aller à fond, mieux c'est, car le cerveau est libéré pour d'autres choses, si vous voyez ce que je veux dire. Les pilotes qui utilisent toutes leurs capacités mentales juste pour piloter à la limite ont tendance à commettre plus d'erreurs, et je pense que c'est vrai lors de toutes les ères."

"Fangio excellait dans le fait de piloter vite tout en utilisant son cerveau, et c'était pareil pour Jimmy Clark. Plus récemment, je dirais que Prost était un bon exemple de quelqu'un qui savait réfléchir et conduire : il surveillait ses pneus, décidait de sa stratégie, enregistrait les messages qu'il recevait de son équipe à la radio, et en même temps, allait aussi vite que les autres. C'est pour ça qu'il ne faisait pas beaucoup d'erreurs."

Winning the only U.S. Formula 1 Grand Prix to be held at Riverside, California, in 1960 driving a Lotus 18.

"Bien sûr, à notre époque, nous n'avions pas la radio pour nous distraire, mais il nous fallait quand même beaucoup réfléchir. Les petites Cooper et Lotus que je pilotais vers la fin de ma carrière étaient très douces avec leurs pneus, elles pouvaient donc être malmenées. Par conséquent, on pouvait être très agressif dans certains virages, surtout les plus lents où l'on pouvait se permettre de prendre un ou deux risques et d'expérimenter un peu. Et si l'on découvrait quelque chose qui faisait gagner un peu de vitesse... on voulait le garder !"

"À l'époque, la fiabilité des voitures n'arrivait pas à la cheville de ce qu'on voit de nos jours. Mettre moins de pression sur la mécanique valait vraiment le coup si l'on en avait l'opportunité. Si l'on gagnait du temps sur le concurrent dans les virages, cela permettait d'être un peu plus précautionneux en ligne droite, vous voyez ? On pouvait être encore plus doux avec les changements de rapport et l'embrayage, et peut-être qu'on pouvait passer la vitesse supérieure un peu plus tôt pour ne pas pousser le moteur à l'extrême. Cela dit, on ne pouvait pas y aller trop doucement, car il n'y avait pas beaucoup de puissance avec laquelle jouer dans ces voitures. Il fallait maintenir sa lancée."

Bien sûr, cela n'explique qu'un seul aspect du génie de Moss, et je peine toujours à comprendre comment il pouvait recalibrer son cerveau si régulièrement, si promptement, devenir compétitif dans tout ce qu'il pilotait, que ce soit la Mercedes W196, la Maserati 250F ou la Vanwall VW 5, avec leur moteur avant, ou les Cooper et Lotus à moteur arrière. Et ce ne sont que les F1 : il maîtrisait aisément des voitures de sport telles que la Mercedes 300SLR, la Jaguar C-Type, l'Aston Martin DB3S et la Maserati 300, ainsi que des GT comme la Ferrari 250GT SWB et l'Aston DB4GT. Sans parler de la berline qu'est la Jaguar Mk VII !

Having won the 1950 Tourist Trophy at Dundrod in a Jaguar XK120, Moss repeated the following year in the glorious Jag C-Type.

"Passer des moteurs avant à arrière était considérable, bien sûr", a commenté Moss, "mais il faut se rappeler que j'avais déjà piloté beaucoup de voitures à moteur arrière auparavant en Formule 3 – ces petites Cooper 500cc – avant de passer aux voitures à moteur avant comme les HWM et les Jaguar. Je suis donc convaincu que tous les différents modèles que nous avons pilotés dans différents championnats nous ont donné beaucoup d'expérience utile pour s'adapter."

Plusieurs s'y sont habitués, oui. Des pilotes comme Tony Brooks, Phil Hill et Jack Brabham excellaient. Mais à cette époque, personne ne s'adaptait aussi bien que Moss. "Je ne peux pas parler pour les autres, mais je pense que les pneus étaient un facteur", analysait-il. "On sent bien la limite d'adhérence avec les grands pneus à structure diagonale. On sentait dans le dos et dans les mains sur le volant un avertissement quand la voiture était sur le point de se dérober ; une bonne voiture ne le faisait pas soudainement."

"L'astuce était alors de savoir quelle était la limite si l'on était en survirage, en sous-virage ou en drift. On développait l'instinct permettant de savoir quelle glisse était de trop et où l'on commençait à perdre du temps. Ces choses-là varient d'une voiture à l'autre, mais le principe de base est le même et il faut le comprendre, ce que j'ai eu la chance de pouvoir faire assez bien." Si tant est que l'on peut appeler ça de la chance. Il le faisait non pas assez mais exceptionnellement bien.

Cette explication semble en tout cas confirmer une théorie populaire selon laquelle bien qu'il soit difficile de comparer les pilotes entre les générations, les plus grands d'une ère auraient excellé dans une autre. "Oh, absolument", a acquiescé Moss. "Si vous mettiez [Tazio] Nuvolari dans la voiture de Fangio, ou Fangio dans une Lotus de Jimmy [Clark], ou Jimmy ou Jackie Stewart dans la Ferrari de Schumacher, ils auraient eu un succès énorme. Et je pense que c'est réciproque : peu importe l'ère où il aurait couru, Ayrton Senna aurait été champion, par exemple, et il en est de même pour Prost et Schumacher."

Stirling Moss, Mercedes

"Je pense qu'en tant que pilote on s'adapte aux circonstances et à ce qui est donné. Prenez les pilotes à Indy, par exemple. Les meilleurs pilotes des voitures à moteur avant n'ont eu aucun problème pour s'adapter aux moteurs arrière, si ?" En effet. Foyt a remporté l'édition 1964 des 500 Miles avec un Roadster, puis a signé la pole au volant d'une Lotus l'année suivante. Parnelli, lui, a adopté une Lotus dès 1964 et a immédiatement signé des poles et des victoires. "Exactement", a confirmé Moss. "Les meilleurs pilotes sont les meilleurs pilotes et finissent toujours par gagner."

Ainsi, en moins de 20 minutes, j'ai davantage appris sur le sport auto des années 1950 et 1960 que dans le reste de ma vie. Ce n'est que par politesse pour Stirling, son épouse et les autres convives que j'ai éteint mon dictaphone et cessé de monopoliser la conversation auprès de cette légende. Bien sûr, le dîner de Moss a été interrompu à plusieurs reprises par des admirateurs souhaitant lui serrer la main et par des amis qui voulaient discuter. Il a toujours répondu chaleureusement et gracieusement.

Quelques semaines après la publication de l'article sur les pilotes polyvalents sur Autosport, j'ai reçu une lettre de Moss me remerciant de l'avoir classé parmi tant de grands pilotes. Et la troisième et dernière fois que je lui ai parlé, c'était au téléphone en 2008, à la suite du décès de l'un de ses concurrents, le Champion du monde de Formule 1 1961, Phil Hill. Il a rendu hommage à cet ancien rival et, en off, a déploré que la maladie de Parkinson ait rendu si atroces les dernières années de la vie de Phil.

Alors que je venais de souligner que Hill avait remporté son ultime course en tant que professionnel (les 6 Heures de Brands Hatch 1967 avec la Chaparral 2F), Stirling s'est exclamé : "C'est comme ça qu'on conclut une carrière ! Pas par un gros accident et en passant un mois à dormir !" Un champion à l'immense talent, avec une bonne dose d'autodérision.

Stirling graciously shares the winning laurels with local hero Wolfgang von Trips at the Nurburgring after the 1961 German GP, but his Lotus 18-Climax has just defeated the mighty Ferraris for the second time that year, despite a 35hp power deficit.

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