Comment la Formule 1 a façonné l'évolution du MotoGP
L'arrivée de technologies et de méthodes venant de la F1 a contribué à l'évolution récente du MotoGP, où le rôle des ingénieurs est susceptible de prendre le pas sur celui des pilotes.
En 2011, Honda introduisait la boîte de vitesses seamless, permettant de pré-engager les rapports et d'éviter des à-coups, et sans le savoir, la marque donnait l'impulsion d'une nouvelle ère en MotoGP. Cette technologie peut aujourd'hui être considérée comme la dernière nouveauté majeure provenant d'un constructeur japonais, même si elle était déjà utilisée en Formule 1 depuis plusieurs années et que les ingénieurs du HRC l'ont surtout adaptée à leur moto.
Honda avait travaillé sur ce concept en F1 en 2005 et la synergie entre ses départements lui a permis un transfert de technologie vers le MotoGP. Cette innovation a poussé les ingénieurs de la catégorie à se pencher avec de plus en plus d'attention sur ce qu'il se passe dans "l'autre" paddock afin d'y trouver l'inspiration, en particulier dans le domaine de l'aérodynamique, comme l'a démontré Ducati. Et même si cette approche a été initiée par Honda, les constructeurs européens semblent l'avoir plus aisément embrassée, prenant ainsi le pas sur les Japonais dans la course au développement.
Certaines marques sont même allées plus loin en important directement des talents et des connaissances de la F1. L'exemple le plus édifiant est Aprilia, dont l'équipe est dirigée depuis 2018 par Massimo Rivola, ancien directeur sportif de Minardi/Toro Rosso et Ferrari. Depuis l'arrivée de l'Italien, la marque de Noale a connu une évolution impressionnante, passant du fond de la grille à la lutte pour le titre avec l'une des meilleures machines du plateau.
Le recrutement de Rivola a permis à Romano Albesiano de se concentrer sur son rôle de directeur technique et de se détacher de la gestion de l'équipe au quotidien. Rivola a profondément modifié la structure du département technique et recruté des consultants riches d'une expérience en F1 à l'image de Luca Marmorini, ancien responsable des moteurs de Ferrari qu'il avait côtoyé au sein de la Scuderia.
Depuis son départ de Maranello, Marmorini a apporté son expertise sur des moteurs de voitures mais il a aussi grandement contribué aux progrès de la RS-GP, désormais considérée comme l'une des motos les plus polyvalentes de la grille. Ces derniers mois, Yamaha s'est même assuré ses services dans la quête des chevaux que Fabio Quartararo réclame à corps et à cris.
Des déséquilibres multiples
Depuis un an, le Français a beaucoup insisté sur la nécessité de faire évoluer sa Yamaha plus régulièrement mais il s'interroge sur l'intérêt de regarder du côté de la F1. "Il y a du bon et du mauvais", a déclaré Quartararo, interrogé par Motorsport.com. "D'un côté, il y a ces composants qui font que nous sommes de plus en plus rapides mais de l'autre, cela rend notre championnat de plus en plus compliqué."
Cette complexité se constate tant dans le pilotage des machines que dans la hiérarchie, plus incertaine que jamais. Et même s'ils sont sous pression, les constructeurs japonais restent très puissants : les trois marques du pays à être engagées (Honda, Suzuki et Yamaha) ont remporté les 14 derniers titres des pilotes. Ducati a néanmoins remporté les deux dernières couronnes des constructeurs, signe que la balance commence à pencher du côté de l'Europe.
Quartararo estime que cette nouvelle façon d'aborder le développement a contribué à un certain déclin des firmes nippones, souvent réputées pour leur réticence au changement et aux idées venant de l'extérieur : "Les marques italiennes, qui sont les meilleures pour introduire ces gadgets, essaient toujours de les affiner autant que possible et d'aller aux limites des règlements. Ils jouent très bien leur carte et ont fait un pas de plus vers l'avant que les Japonais."
Aprilia n'est en effet pas le seul à avoir regardé du côté de la F1. Depuis qu'il a pris la tête de Ducati en 2014, Gigi Dall'Igna a mis l'accent sur le développement aérodynamique mais même avant son arrivée, la marque de Borgo Panigale avait recruté Massimo Bartolini, ancien ingénieur de Ferrari. L'innovation est au cœur du travail de Ducati, si bien que Pecco Bagnaia s'oppose à Quartararo sur sa vision de ce que la Formule 1 peut apporter au MotoGP.
"Je pense que c'est bien de regarder du côté de la F1, tout ce qui peut nous aider à améliorer notre potentiel et à gagner en performance est positif", a analysé l'Italien, estimant néanmoins que le rapport de force n'a pas véritablement évolué en faveur du continent européen : "Yamaha mène le championnat [des pilotes], ils l'ont remporté l'an dernier et en 2020 c'était Suzuki. Donc pour le moment, les marques japonaises gagnent. C'est sûr que les Européens progressent mais il nous manque encore quelque chose."
Andrea Dovizioso a déjà constaté une grosse évolution depuis ses débuts dans la catégorie reine. Souvent critique de certains développements apparus ces dernières années, du holeshot device à une électronique devenue essentielle pour contrôler le patinage ou le wheelie, le vétéran du plateau est idéalement placé pour voir comment les motos ont évolué chez Ducati et Yamaha, marque qu'il a retrouvée l'an passé après avoir piloté des M1 en 2012.
"Ces dernières années, les ingénieurs ont pris de plus en plus d'importance en MotoGP ", a analysé Dovizioso. "Dans ce contexte, il est très utile de recruter des ingénieurs du calibre de ceux qui sont en F1, c'est une direction que nous prenons depuis plusieurs années. Les motos se pilotent différemment, de nombreux éléments ont été introduits pour aider les pilotes parce que les ingénieurs ont totalement pris le contrôle sur les projets. Il faut reconnaître que ce changement fonctionne. Qu'on l'apprécie ou pas, c'est comme ça."
La marge de progrès reste immense
Les synergies entre les deux championnats n'en sont peut-être qu'à leurs débuts. Source d'inspiration depuis une décennie, la Formule 1 pourrait en effet devenir un véritable modèle pour les équipes du MotoGP à l'avenir, tant sur le plan technique que dans les méthodes de travail. C'est en tout cas ce qu'estime un ancien ingénieur de Ferrari que nous avons interrogé.
"En F1, il y a certains domaines plus avancés qu'en MotoGP, dans l'aérodynamique, les moteurs, les boîtes de vitesses, les suspensions ou tout simplement le management de groupes de travail avec des ingénieurs dans différents domaines", a expliqué cette figure renommée et très expérimentée, voyant plusieurs pistes de progrès mais aussi des défis en gagnant en expertise et en spécialisation : "En MotoGP, les équipes sont d'une taille plus réduite."
"Une équipe de F1 est faite de 1200 personnes et une équipe de MotoGP est beaucoup plus petite", a-t-il ajouté. "En F1, il est important de savoir comment gérer ces personnes, de les placer dans les départements où l'on a besoin d'eux, de s'assurer que personne ne se marche sur les pieds, et ce sera le cas en MotoGP avec la croissance des équipes. Toutes les équipes de F1 sont passées par cet apprentissage en grandissant."
Ce possible renforcement des équipes est susceptible d'accélérer la course au développement et l'adoption de concepts utilisés en Formule 1 : "Le MotoGP adopte des technologies de la F1 depuis quelques années : les passages de rapport seamless étaient en F1 depuis 2005, le rappel pneumatique de soupape existe depuis plus de 30 ans en F1. Il y a 20 ans, quand les moteurs de la F1 étaient atmosphériques, ils produisaient déjà plus de 300 chevaux par litre [de cylindrée]. Il y a beaucoup de technologies qui peuvent passer d'un côté à l'autre."
Et l'aérodynamique ne fait pas exception, l'ingénieur que nous avons interrogé jugeant encore cet aspect limité en MotoGP alors qu'il est "crucial" en Formule 1 : "Le transfert de technologie peut être énorme, de la façon d'utiliser la CFD [étude de la dynamique des fluides sur ordinateur, ndlr] aux méthodes de travail en soufflerie. Dans une équipe de F1, il y a 120 personnes qui ne travaillent que sur l'aérodynamique, divisées en groupes de travail. En MotoGP, c'est un petit groupe en charge de l'ensemble de la moto. L'expérience et les erreurs déjà faites en F1 peuvent être décisives pour gagner du temps en MotoGP."
Il ne s'agit pas de copier la Formule 1 ni de transformer une MotoGP en F1 sur deux roues, mais de profiter de l'expérience acquise par le championnat, de son expertise dans l'organisation et la technologie et d'en extraire le meilleur, pour avancer plus vite sans reproduire certaines erreurs.
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