Analyse

Les signes du changement de mentalité des grandes marques japonaises

La déception de Honda et Yamaha en 2022, d'un côté, et les succès de Ducati et Aprilia, de l'autre, ont motivé les marques japonaises à rompre avec la tradition voulant qu'elles se limitent à opérer avec leurs ressources internes, les poussant à aller chercher des réponses auprès de fournisseurs externes.

Fabio Quartararo, Yamaha Factory Racing

Photo de: MotoGP

L'arrivée de Ken Kawauchi au poste de directeur technique du HRC, en remplacement de Takeo Yokoyama, pilier de la maison, offre une analogie parfaite de la métamorphose que subissent actuellement les deux géants japonais du MotoGP. Comme Honda, Yamaha a vu sa moyenne de performance baisser et ses coups d'éclat se raréfier, alors que dans le même temps les marques européennes prenaient le dessus. Mais l'un et l'autre des constructeurs nippons ont eu la même réaction en acceptant de s'ouvrir à des ressources externes afin de se reprendre.

Ken Kawauchi a été engagé par Honda après la décision de Suzuki de quitter la compétition, lui qui a porté le programme de Hamamatsu durant des années. Il est arrivé au HRC avec la volonté d'apporter un regard nouveau et, lors des récents essais menés à Sepang, on l'a vu demander à Marc Márquez de prendre la piste au guidon d'une moto affichant un look presque passéiste, car privée des incontournables ailerons. "On essaye certaines choses qu'on avait déjà essayées l'année dernière et qui n'avaient pas bien fonctionné, mais au final si le nouveau directeur technique veut voir de ses propres yeux ce qui se passe, j'accepte de jouer ce rôle. J'accepte le fait qu'il ait besoin d'avoir cette information", avait expliqué le pilote espagnol.

Aussi prévisibles qu'aient pu être les réponses obtenues par l'ingénieur avec ces expérimentations, son souhait était de pouvoir tirer ses propres conclusions. Cette méthode appliquée à plus grande échelle permet de comprendre ce qui a poussé Honda et Yamaha à rompre les murailles qui, jusqu'à présent, encadraient leur travail et, de fait, limitaient fortement leur collaboration avec des partenaires extérieurs.

Le cas du constructeur tokyoïte est plus extrême que celui de Yamaha, puisque le département compétition de la marque d'Iwata est géré depuis de nombreuses années par sa filiale italienne, basée à Gerno di Lesmo. Le véritable verdict permettant de juger si une méthode est bonne ou mauvaise, ce sont les résultats. Or, ceux de Honda ont été catastrophiques depuis la blessure de Marc Márquez en juillet 2020 ; mais bien que meilleurs, notamment grâce au titre de Fabio Quartararo en 2021, Yamaha n'a pas été en mesure de résister à Ducati l'an dernier et a également été challengé par Aprilia, dont les progrès récents ont été incontestables.

Les techniciens ne jurent que par les chiffres, et ceux-ci ne laissent pas de place au doute. La comparaison entre les données des équipes officielles Ducati et Aprilia avec celles de leurs homologues Honda et Yamaha en 2022 offre un constat sans appel. Durant cette campagne ayant ramené une marque européenne au sacre, Pecco Bagnaia et Jack Miller ont remporté huit courses et cumulé 17 podiums, récoltant 454 points à eux deux. Non seulement Aprilia a ouvert son compteur grâce à Aleix Espargaró en Argentine, mais huit autres podiums s'y sont ajoutés l'an dernier grâce au #41 et à Maverick Viñales, et l'équipe a totalisé 334 points. Yamaha a récolté un podium de moins avec Fabio Quartararo et Franco Morbidelli (l'Italien n'en a obtenu aucun), pour 44 points de moins au total. Honda se situe encore plus loin, avec seulement deux podiums et 169 points au cours de cette saison − sans oublier, toutefois, les huit courses manquées par Marc Márquez qui ont sans doute eu un impact important sur ces statistiques.

Honda's change in technical manager over the winter has brought about a new way of thinking

Le changement de directeur technique de Honda a apporté une nouvelle approche pendant l'hiver

Mais ces chiffres sont le reflet du déséquilibre que Yamaha et Honda tentent de corriger. Chacun s'y efforce à sa manière, cependant on peut penser que la racine du problème est la même, et qu'elle réside dans la façon dont les deux constructeurs abordent le championnat.

"J'ai tendance à penser que l'inclination qu'ils ont eue à trop compter sur le talent d'un seul pilote a été un facteur décisif", commente Paolo Ciabatti, directeur sportif de Ducati Corse, à Motorsport.com. "Quand vous avez des pilotes qui sont capables d'extraire 110% du prototype qu'ils pilotent, comme c'est le cas de Marc et Fabio, cela camoufle les défauts de la moto. Et ces pilotes ont beau être talentueux, ils ne sont pas Superman et il y a donc certaines limites qu'ils ne peuvent pas dépasser."

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Cette impression est partagée par la majorité du paddock, surtout au vu de l'énorme écart qui sépare Marc Márquez et Fabio Quartararo, les deux leaders de ces marques, et leurs coéquipiers. Mettre le doigt sur le problème, c'est déjà se rapprocher de la solution, et en ce sens, le responsable italien pense avoir identifié certains signes montrant un début de réaction de la part de Honda et Yamaha.

Dans le camp Yamaha, on admet ouvertement que l'approche de Ducati, surtout depuis le changement de direction en 2014, a révolutionné l'ordre établi et mis à mal la domination des constructeurs japonais. "Depuis l'arrivée de Gigi Dall'Igna, Ducati a mis en place un style particulier pour développer la moto. La rapidité de réaction de Ducati, qui a ensuite été suivie par Aprilia, a montré que la mentalité quelque peu conservatrice des usines japonaises n'était pas suffisante pour se battre face à elles. Je pense que nous l'avons compris maintenant", concède Lin Jarvis, directeur exécutif de Yamaha Motor Racing.

Yamaha's decision to work with renowned F1 engine chief Marmorini has yielded the top speed gains it has been looking for

Yamaha a décidé en 2022 de travailler avec Luca Marmorini, ingénieur moteur de renom

En 2022, Yamaha s'est associé à une entreprise italienne afin de remédier au manque de puissance de son moteur, acceptant d'apporter un regard nouveau à ses ingénieurs. "L'année dernière, à la même époque, nous avons compris que nous ne pourrions pas utiliser le moteur que nous voulions, en raison d'un problème de fiabilité. Cela nous a amenés à nous réorganiser en interne et en externe, avec l'introduction du groupe dirigé par Luca Marmorini", explique Lin Jarvis.

Auparavant meneur du développement moteur de Ferrari et de Toyota en Formule 1, Luca Marmorini a visiblement apporté un nouveau souffle à Yamaha au vu de l'augmentation de la vitesse de pointe affichée par la M1 2023 lors des essais hivernaux. "Ce que Marmotors fait très bien", souligne Lin Jarvis à Motorsport.com, "c'est alerter nos ingénieurs et leur montrer sur quoi ils doivent se concentrer, à quels aspects ils doivent faire attention. Parfois, ils leur mettent la pression, parfois ils leur donnent des conseils. En bref, ils leur offrent une autre perspective."

Ce partenariat chez Yamaha, tout comme l'arrivée d'un responsable technique venu de l'extérieur chez Honda, illustre le changement d'état d'esprit que les deux marques doivent entreprendre pour revenir au premier plan en MotoGP et montre comment l'ouverture à des idées nouvelles s'annonce comme une mutation incontournable et bénéfique sur le long terme.

Can the Japanese manufacturers propel themselves back into the fight this year by emulating the European approach?

Les marques japonaises vont-elles réussir à revenir dans le coup en s'inspirant de l'approche des constructeurs européens ?

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