Quand Williams attribuait un baquet à la dernière minute
Nick Heidfeld et Antônio Pizzonia se sont disputé le second volant Williams pour la saison 2005 jusqu'à la présentation de la voiture. Ni l'un ni l'autre n'en garde un très bon souvenir.
Photo de: BMW WilliamsF1
Dans un sens, Mark Webber était un privilégié, en ce début d'année 2005. Privilégié car son transfert chez Williams en provenance de Jaguar avait été annoncé dès le 28 juillet 2004, assurant son avenir bien en avance, alors que l'écurie cherchait à pallier le départ de Juan Pablo Montoya chez McLaren et de Ralf Schumacher chez Toyota. Williams a ensuite fait signer Jenson Button début août, mais le Britannique avait encore un contrat valide avec BAR et a dû rester à Brackley.
C'est finalement entre Nick Heidfeld et Antônio Pizzonia que s'est joué le second baquet aux côtés de Webber. Déjà pour le compte de Williams, Pizzonia avait remplacé Ralf Schumacher, blessé, pendant quatre Grands Prix en 2004 ; le Brésilien n'avait pas démérité, avec trois septièmes places. Heidfeld, lui, avait déjà cinq saisons et 84 Grands Prix d'expérience en Formule 1, mais restait sur une campagne 2004 difficile au sein de la modeste écurie Jordan, avec seulement trois points au compteur. L'Allemand l'a emporté, non sans que Williams ait maintenu le suspense… jusqu'à la présentation de la voiture !
"Je repense aux difficultés que j'ai eues à obtenir ce volant", commentait Heidfeld dans le podcast Beyond The Grid. "Parce que c'était après mon année chez Jordan. Pizzonia et moi avons fait un test décisif avant le début de la saison. Les gens n'y croient pas, mais nous n'avons su qui de nous allait avoir le baquet que juste avant le début de la saison. C'est même à la présentation, où ils ont dévoilé la voiture pour la première fois avec tous les médias présents, qu'ils nous ont dit si nous allions piloter ou non. Et cinq minutes plus tard, nous étions sur la scène, et Pizzonia a dû dire 'je suis content, je serai pilote de réserve'. C'est fou."
Heidfeld n'a pas pris l'organisation d'essais comparatifs entre les deux pilotes comme un manque de respect, mais avoue qu'il n'était pas rassuré. "Si l'on repense à cette époque, beaucoup de gens disaient qu'il était déjà établi que Pizzonia allait avoir ce volant, et que juste pour le marketing, ils allaient me faire venir et dire 'non, on ne va pas le prendre'. J'en avais peur", poursuivait-il. "Mais plus j'ai appris à connaître l'équipe, plus j'ai senti qu'ils avaient vraiment l'esprit de la course, et qu'il n'y avait pas grand-chose d'autre qui soit important à leurs yeux. S'ils pensaient que quelqu'un d'autre représentait un meilleur choix, ils allaient le prendre."
"Quand nous avons fait ces essais à Jerez, c'était l'un de mes premiers tests pour Williams. Au circuit, nous avions notre petite pièce, et j'ai entendu Pizzonia de l'autre côté, mais un mur nous séparait, donc il ne savait pas que j'étais là. Je l'ai entendu parler au préparateur physique, j'ai collé l'oreille contre le mur et je l'ai entendu déjà lui dire qu'il allait lui donner un petit bonus quand il marquerait des points, monterait sur le podium, etc. De nouveau, je me suis dit 'merde, il sait déjà qu'il a le volant'. Et j'étais de l'autre côté du mur, je me suis dit que ça n'allait pas se passer comme ça. Ce moment un peu fou m'a motivé encore plus."
Pizzonia, lui, a vécu les choses différemment, tout en corroborant les propos ci-dessus. "Beaucoup de gens disaient qu'il était déjà établi que Pizzonia allait avoir ce volant", a dit Heidfeld ; le Brésilien lui-même était convaincu que sa place chez Williams était garantie ! Pour lui, s'il n'a pas été choisi, la raison est claire : c'est parce que BMW a fait pression pour avoir un pilote allemand.
"J'avais déjà fait tout ce que je pouvais, non seulement en tant que pilote d'essais mais aussi lors des quatre courses que j'ai faites en 2004", estimait Pizzonia. "BMW a commencé à mettre la pression sur l'équipe pour avoir un pilote allemand, car Ralf Schumacher partait."
"Dès la première fois que nous avons abordé le sujet, Frank Williams m'a dit de ne pas m'inquiéter de la politique, que BMW voulait tester un pilote allemand mais de ne pas m'inquiéter car mes chances était de 99,9%. Quand il m'a dit ça, j'avais des propositions de BAR ainsi que de Newman-Haas en IndyCar, soit la meilleure équipe à l'époque. Je me suis dit : 'Je suis très bien ici, je vais être engagé comme pilote officiel'. J'ai dit non à tout le monde."
"Le temps passait, Heidfeld a commencé à faire des essais, il n'était pas mauvais, mais j'étais plus rapide. Au fur et à mesure, j'ai commencé à me dire qu'il se passait peut-être quelque chose, mais Frank m'a encore dit que c'était à 99,9% en ma faveur. Jusqu'au lancement de la voiture, je ne savais pas si j'allais être le pilote officiel de l'équipe, et lui non plus."
"Le jour de la présentation, Frank a fait venir Nick dans une pièce, puis m'a fait venir ensuite. Il m'a dit : 'Antônio, nous ne pouvons pas aller à l'encontre de BMW et nous devons prendre Heidfeld comme pilote officiel. Nous allons augmenter ton salaire, mais telle est la situation à ce jour'."
"Quand je suis sorti de la pièce, je me suis effondré intérieurement. J'ai manqué d'autres opportunités, j'ai fait confiance à 100% à quelqu'un que j'admire beaucoup, j'étais à un super niveau au sein de l'équipe, et ça, c'était cinq minutes avant la présentation de la voiture. J'étais très frustré, et l'équipe l'a remarqué. Durant la saison, je n'étais pas très intéressé et concentré, et ils ont recruté un autre pilote essayeur."
Dans les faits, Pizzonia est resté chez Williams toute l'année, et a même eu l'opportunité de participer aux cinq derniers Grands Prix de la saison lorsque Heidfeld a subi une commotion cérébrale dans une sortie de piste à Monza puis un accident de vélo. Cet intérim a conclu la courte carrière en Formule 1 de Pizzonia, qui a ensuite été aperçu sporadiquement en Champ Car, GP2, IndyCar, Superleague Formula, Auto GP et FIA WEC, tout en faisant carrière dans le championnat brésilien de Stock Car.
Heidfeld, pour sa part, a signé trois podiums en quatorze Grands Prix en 2005, marquant 28 points par rapport aux 24 de Webber sur la même période. Et pourtant, ce n'était manifestement pas gagné, après l'épisode Pizzonia : "C'était dur, car avant même que la saison ait commencé, c'était comme si la saison était déjà derrière nous. Car c'était vraiment, vraiment dur mentalement. Je suis donc arrivé en Australie en me sentant déjà fatigué." Par la suite, l'Allemand a établi le record du nombre de podiums sans victoire – 13 – grâce à son passage chez BMW Sauber, avant de passer en WEC avec Rebellion et en Formule E chez Mahindra.
Propos recueillis par Felipe Motta
Rejoignez la communauté Motorsport
Commentez cet articlePartager ou sauvegarder cet article
Abonnez-vous pour accéder aux articles de Motorsport.com avec votre bloqueur de publicité.
De la Formule 1 au MotoGP, nous couvrons les plus grands championnats depuis les circuits parce que nous aimons notre sport, tout comme vous. Afin de continuer à vous faire vivre les sports mécaniques de l'intérieur avec des experts du milieu, notre site Internet affiche de la publicité. Nous souhaitons néanmoins vous donner la possibilité de profiter du site sans publicité et sans tracking, avec votre logiciel adblocker.
Meilleurs commentaires