Été 1994 - L'imprévisible retour de Nigel Mansell

Il y a 30 ans, Nigel Mansell faisait un retour inattendu dans une F1 traumatisée par la disparition brutale d'Ayrton Senna. Un "drôle" d'épisode dans la carrière du Britannique.

Nigel Mansell (Williams FW16 Renault)

Photo de: LAT Photographic

Parmi tous les faits marquants d'une rude année 1994, le retour de Nigel Mansell a sa place. Le Britannique avait quitté Williams et la Formule 1 auréolé du titre mondial à la fin de l'année 1992, pour s'engager en CART, championnat alors ravi de disposer d'un pilote de ce calibre.

Le sacre de Mansell douze mois plus tard de l'autre côté de l'Atlantique semblait confirmer que le "Lion" allait connaître une seconde carrière triomphale, à l'image d'un autre Champion du monde de F1 exilé à l'Ouest, Emerson Fittipaldi. Or les événements du Grand Prix de Saint-Marin allaient bouleversé la Formule 1 à tout point de vue : la disparition d'Ayrton Senna fut un séisme.

"C'était une catastrophe", confiait Nigel Mansell il y a quelques années dans les colonnes d'Autosport. Pour lui, après le week-end tragique d'Imola, "il n'existait pas ne serait-ce qu'un pilote de course sur la planète qui ne se sentait pas vulnérable. Je me sentais vulnérable, énormément. J'étais terriblement contrarié".

La FIA allait prendre des dispositions radicales pour améliorer la sécurité. L'équipe Williams se retrouva quant à elle privée de son leader et accusée d'homicide involontaire par la justice italienne. Quant à la Formule 1, elle ne comptait plus aucun Champion du monde en activité dans ses rangs. Une situation intenable aux yeux de Bernie Ecclestone, d'autant que Michael Schumacher dominait les débats sur sa Benetton.

Je ne peux pas vous dire à quel point on se sent mal dans une monoplace que l'on doit piloter après que quelqu'un se soit tué dans celle-ci.

Ainsi, le grand argentier travaillait au retour de Mansell chez Williams dès que possible, à savoir lorsque le calendrier américain le permettait. C'est ainsi que l'on vit le Britannique faire son retour pour le Grand Prix de France puis, un peu plus tard, pour trois dernières courses de la saison. La manœuvre fut facilitée par l'implication de Renault et par le fait que que Carl Haas, le patron de l'équipe Newmann/Haas pour qui Mansell pilotait aux États-Unis, céda sans discuter les contrats de son pilote, alors en difficulté pour sa seconde saison en CART. Le tout... sans l'assentiment du principal intéressé !

"J'avais signé jusqu'en 1997", se rappelle Mansell. "Il [Carl Haas] m'a dit : 'Je suis désolé, si tu veux courir à nouveau, tu devras t'adresser à quelqu'un d'autre, je viens de vendre tous tes contrats'. Je n'ai pas eu la moindre connaissance de quoi que ce soit. Même maintenant, je ne suis pas en mesure de dire ce qui s'est passé, j'étais passager de la situation. Vous êtes dans un vol transatlantique, vous avez toute votre famille installée dans des écoles, puis un tragique accident survient et il change votre vie pour toujours. Ce fut le cas."

Nigel Mansell à Adélaïde en 1994.

Nigel Mansell à Adélaïde en 1994.

Photo de: Motorsport Images

Avant de retrouver l'ambiance des week-ends de Grand Prix, Mansell testa la FW16 sur le circuit de Brands Hatch, alors ouvert au public. Le retour de l'idole des Britanniques avait attiré beaucoup de monde autour du tracé. Cependant, Mansell était tout sauf serein, pour une raison évidente.

"C'était horrible, atroce même", se souvient-il. "Je ne peux pas vous dire à quel point on se sent mal dans une monoplace que l'on doit piloter après que quelqu'un se soit tué dans celle-ci. Il n'y a absolument aucun plaisir, aucune excitation là-dedans. Je devais faire abstraction de tout. Si j'avais laissé mes émotions prendre le dessus, je n'y serais pas arrivé."

Car Mansell était bien bien conscient du risque encouru au moindre déficit d'attention : "Vous vous devez d'être concentré au maximum, sinon ça peut vous tuer, ce ne sont pas des jouets". Il brilla pourtant pour son retour puisqu'il manqua la pole position à Magny-Cours de seulement 77 millièmes, son coéquipier Damon Hill prenant finalement le dessus.

"Ma première course depuis la première ligne n'était pas mauvaise, j'étais presque en pole. Damon m'a confié : 'C'est la première fois que j'ai posé mes couilles sur la table pour avoir la pole'. Damon s'est senti inquiété, car après deux années d'absence, je n'aurais pas dû être aussi près de la pole. C'était un très bon pilote, j'étais en mesure de l'aider en lui donnant confiance. Ce qu'il ressentait, je pouvais le deviner : je pense qu'Ayrton en a également souffert car Williams avait une philosophie différente de celle de McLaren. Ce dont je me suis rendu compte en partie plus tard."

Mansell abandonna après 45 tours de course à cause de sa boîte de vitesses, alors qu'il tenait la troisième place. Il retourna aux États-Unis pour boucler sa décevante saison en CART. Quelques mois plus tard, il était de nouveau chez Williams pour le Grand Prix d'Europe, à Jerez. Sa course s'acheva par un tête-à-queue dans le ventre mou du peloton après avoir été marquée par une touchette avec un retardataire.

Le célèbre moustachu attira particulièrement l'attention à Suzuka où, après le drapeau rouge causé par l'accident de Martin Brundle, il lutta longtemps avec la Ferrari de Jean Alesi pour la dernière marche du podium avant de capituler. La pluie battante ce jour-là rendait la visibilité quasi nulle, renforçant ainsi la performance de l'Anglais. "Si j'avais été en mesure de voir un peu plus clair et si avais disposé d'une vraie bonne voiture, j'aurais pu faire bien mieux, mais je n'étais pas préparé pour prendre des risques. C'était vraiment dangereux", assure-t-il.

En profitant d'une erreur stratégique de Benetton, qui fit ravitailler deux fois Schumacher, Damon Hill remporta cette course et défia tout pronostic. Et ainsi, le titre mondial allait finalement se jouer à Adélaïde...

Une der douce-amère...

La dernière apparition de Mansell sur la plus haute marche du podium en F1.

La dernière apparition de Mansell sur la plus haute marche du podium en F1.

Photo de: Motorsport Images

Pour la première fois depuis 1986, quand Mansell avait manqué la couronne d'un cheveu, tout se jouerait lors du dernier Grand Prix. Huit ans plus tard, il signa la pole position au détriment des deux prétendants à la couronne. Ce qui déplut à ceux qui ne voulaient pas le voir interférer dans la lutte pour le titre...

"Les autorités m'ont dit toutes sortes de choses : tu ne prendras pas part à la course, ne prends pas de bon départ, regarde la course, n'interfère pas dans la lutte... Ainsi j'ai volontairement manqué mon départ. J'ai observé", raconte-t-il. "C'était intéressant et frustrant à la fois de voir ça juste devant moi. Je hurlais à Damon à travers mon casque : 'Ne gâche pas tout, ne fais pas ça !'. Il avait vraiment une excellente monoplace, je savais à quel point sa monoplace était meilleure. Puis est arrivé l'inévitable. Tout ce qu'il y a à dire c'est 'No comment !'."

Dans la controverse la plus totale, Schumacher accrocha Hill pour s'assurer d'être titré. Mansell hérita des commandes de l'épreuve, sans se retrouver tranquille pour autant.

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"C'est assez marrant. Les gens pensent que je devais être heureux, mais je ne l'étais pas du tout. J'étais contrarié ; contrarié et énervé ! Je n'avais pas prêté attention à mon pilotage, sortant large au virage suivant et endommageant le fond de ma monoplace. C'était insensé. Je voulais que Damon soit champion, je voulais que l'équipe Williams le soit également, et cela a pris plusieurs tours pour que je retrouve mon calme. J'ai gardé beaucoup de souvenirs de l'Australie avec le titre perdu là-bas. Je devais me reconcentrer car j'avais Gerhard [Berger] qui me chassait comme un fou."

Mansell ignorait que cette 31e victoire en Formule 1 serait la dernière. Il était certain qu'il conserverait son baquet en 1995 aux côtés de Damon Hill. Sauf que la suite n'allait pas se passer ainsi, Williams lui préférant David Coulthard.

"Les choses étaient fantastiques, pensais-je, mais cela démontre que votre propre perception des choses ne vaut rien", précise-t-il. "J'ai eu un coup de téléphone juste avant la nouvelle année, et on va dire que ce fut assez confus. J'avais des contrats pour piloter pour Williams en 1995 donc il faut deviner pourquoi je n'ai pas piloté pour eux, car je ne sais toujours pas pourquoi..."

"J'ai eu des opportunités, j'ai remporté 28 courses pour eux, je leur en suis extrêmement reconnaissant. Remettons-nous également dans le contexte : cela aurait pu être moi dans le cockpit d'Ayrton en 1994, comme l'a fait remarquer ma femme. Je suis en vie aujourd'hui."

Michael Schumacher, Nigel Mansell et Damon Hill en conférence de presse à Adélaïde.

Michael Schumacher, Nigel Mansell et Damon Hill en conférence de presse à Adélaïde.

Photo de: Motorsport Images

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