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Comment le nouveau vainqueur en F1 a conquis Alpine

Alpine a fait froncer les sourcils en accordant à Esteban Ocon un contrat inhabituel de trois ans. D'autant plus que ses performances ont semblé se tasser une fois ce contrat en poche. Aujourd'hui, après qu'Ocon ait brillamment saisi une opportunité de gagner en Hongrie, la décision d'Alpine semble être justifiée. Luke Smith analyse pourquoi Ocon a desserré ses liens avec Mercedes pour rester avec "Team Enstone".

Laurent Rossi, PDG, Alpine F1, et le vainqueur Esteban Ocon, Alpine F1, sur le podium

Photo de: Glenn Dunbar / Motorsport Images

Du vétéran chevronné au débutant plein d'espoir, en passant par toutes les étapes intermédiaires de la carrière, la stabilité est une denrée que tous les pilotes de Formule 1 convoitent. Pour ceux qui cherchent à prendre racine en F1, cela passe généralement par l'académie junior d'une équipe de constructeur ou par un riche bienfaiteur. Même le poulain le plus talentueux peut ne pas être en mesure de s'épanouir sans un soutien et un investissement puissants.

C'est une chose sur laquelle Esteban Ocon a rarement pu compter. Il a connu beaucoup plus de choses que la plupart des autres pilotes de Formule 1. Il a vécu dans une caravane avec ses parents, qui ont vendu leur maison familiale pour qu'il puisse continuer à faire du karting. Il a dû faire face à l'incertitude des catégories junior malgré un palmarès époustouflant (on oublie souvent qu'il a battu Max Verstappen pour le titre de F3 Europe). Par deux fois en F1, il a couru pour des équipes au bord du gouffre financier, et a en conséquence glissé entre les mailles du filet du marché des pilotes ; à un moment donné, il a passé un an sur la touche.

Mais la résilience d'Ocon a porté ses fruits, et pas seulement avec sa victoire surprise en Hongrie avant la pause estivale de la F1. Avec Alpine, il a trouvé un foyer pour le long terme, un statut désormais exprimé noir sur blanc sous la forme d'un contrat de trois ans, signé et annoncé en juin, qui le lie à l'équipe française jusqu'à la fin 2024 au moins.

Ocon a donc rejoint le club fermé des longs contrats. L'année dernière, Charles Leclerc et Max Verstappen ont signé des prolongations les liant à leurs équipes jusqu'à la fin 2024 et 2023 respectivement. Le premier contrat de Daniel Ricciardo chez McLaren était de trois ans, tandis que le nouvel accord de Lewis Hamilton est une extension de deux ans du contrat d'un an qu'il a signé début 2021.

Cela montre non seulement à quel point Ocon a impressionné Alpine depuis son retour à Enstone en 2020, mais aussi que l'équipe le considère comme le pilote idéal pour atteindre son objectif à plus long terme, qui est de revenir au sommet de la F1, et faire en sorte que les passages sur la plus haute marche du podium ne soient plus des accidents de parcours.

Tout au long de son entretien avec GP Racing – avant sa victoire en Hongrie, il faut le noter – Ocon revient à une phrase distinctive pour décrire son nouvel accord : c'est une façon de "continuer l'histoire" avec la structure basée à Enstone. En effet, au cours de la dernière décennie, sa carrière s'est trouvée mêlée à plusieurs reprises aux nombreuses incarnations de cette équipe. Dès 2010, le jeune Ocon, âgé de 14 ans, a été recruté par Gravity Sports Management, un groupe appartenant à la société qui venait de prendre une participation majoritaire dans l'équipe Renault et qui allait bientôt la rebaptiser Lotus. "Je m'entraînais au HPC [Human Performance Centre] à Enstone, je voyais les pilotes et je me disais qu'un jour, je voudrais devenir l'un d'entre eux", se souvient Ocon.

Mais ça n'a pas été l'histoire d'une autoroute dorée vers la gloire. Alors que les difficultés financières de Lotus s'accumulaient, Ocon, qui avait remporté le titre de F3 Europe 2014 devant Verstappen, a été contraint de faire un pas de côté, passant en GP3 alors que Max faisait le grand saut en F1.

"La vie n'est pas toujours facile, et vous apprenez toujours des moments difficiles. Je suis tout à fait sûr que l'expérience chez Mercedes, mon expérience chez Force India, tout cela a fait de moi le pilote que je suis aujourd'hui" Esteban Ocon

Mercedes a lancé une bouée de sauvetage à Ocon en l'affiliant à son programme de jeunes pilotes, et sa charge vers le titre GP3 lui a ouvert la voie pour en devenir un membre à part entière à partir de 2016. Après une demi-saison en DTM, il a été "placé" dans l'équipe Manor en F1 (qui a fait faillite à la fin de la saison), où ses performances et sa personnalité lui ont permis de dépasser Pascal Wehrlein dans la hiérarchie de Mercedes et d'obtenir un baquet chez Force India l'année suivante.

Mais même si Ocon s'est avéré un bon équipier face à Sergio Pérez au cours de leurs deux saisons ensemble, il s'est retrouvé face à la sortie vers la fin 2018. L'effondrement financier de Force India – voyez-vous une sorte de thème récurrent ? – et le sauvetage par Lawrence Stroll ont sonné le glas des chances d'Ocon de rester. Le portefeuille de sponsors de Pérez assurait sa position, tandis que le fils de Stroll, Lance, était presque inévitablement destiné à occuper l'autre voiture. Au plus fort de la crise, pendant le week-end du GP de Belgique, il n'était même pas certain qu'Ocon participerait à la course de Monza une semaine plus tard.

Mercedes l'a gardé au chaud pendant une saison en tant que pilote de réserve pour 2019 et, bien que cela n'ait pas été très amusant pour Ocon, il n'a pas disparu du radar de la F1. Lorsque la marque à l'étoile a choisi de conserver Valtteri Bottas pour 2020, Renault a agi rapidement pour signer Ocon dans le cadre d'un prêt de deux ans, décidant qu'il était un meilleur pari à moyen terme que Nico Hülkenberg. Ocon n'était plus un "jeune pilote" Mercedes, mais conservait des liens avec l'équipe par le biais de sa direction.

"Cela a été un chemin très étrange dans ma carrière", reconnaît Ocon. "J'ai traversé des moments difficiles, du point de vue des équipes mais aussi de mon point de vue. Mais j'ai toujours cru que si j'avais plus de motivation que tout le monde, les gens le verraient."

"La vie n'est pas toujours facile, et vous apprenez toujours des moments difficiles. Je suis tout à fait sûr que l'expérience chez Mercedes, mon expérience chez Force India, tout cela a fait de moi le pilote que je suis aujourd'hui, c'est-à-dire un pilote plus complet et plus expérimenté."

L'année d'Ocon sur la touche l'a un peu rouillé et il a eu du mal à égaler les performances de son nouveau coéquipier Daniel Ricciardo dans la Renault nettement améliorée. Il a souvent été incapable d'extraire le maximum de la voiture lors des qualifications, ce qui rendait le travail plus difficile le jour de la course. Finalement, au Grand Prix de Sakhir, Ocon a réussi à enchaîner tout au long du week-end et a profité de l'effondrement de Mercedes pour terminer deuxième, décrochant ainsi son premier podium en F1 et prouvant qu'il pouvait saisir des opportunités.

"Nous avons traversé des moments difficiles où cela ne fonctionnait pas comme nous le voulions, et nous avons réussi à comprendre les problèmes", déclare Ocon, revenant sur sa saison de retour. "Le podium a définitivement aidé. L'équipe était très heureuse. Ils savaient qu'ils pouvaient compter sur moi, dans les moments où nous devons performer, dans les moments où il y a une opportunité, ils ont réalisé qu'ils pouvaient vraiment compter sur moi."

"Et à partir de là, nous avons mieux compris la voiture et son fonctionnement, ainsi que ses caractéristiques. Cette année, nous avons continué sur cette lancée, et nous avons fait un travail encore meilleur, je dirais, avec la nouvelle équipe qui m'entoure."

"Nous avons vu assez d'Esteban, nous savons qu'il est bon. Je ne veux pas me retrouver encore une fois à chercher un autre pilote après deux ans. Le passé récent a montré que ça ne tourne jamais vraiment dans le bon sens. Si vous avez un bon pilote, vous voulez le garder" Laurent Rossi

Lorsque Renault est devenu Alpine pour 2021, les changements sont allés au-delà du nom au-dessus du garage et de la couleur de la voiture. Le double Champion du monde de F1 Fernando Alonso – réputé pour être difficile avec ses coéquipiers – est arrivé, ainsi qu'une nouvelle équipe de direction dirigée par le PDG d'Alpine Laurent Rossi avec comme comanagers Davide Brivio et Marcin Budkowski en dessous de lui.

Mais le côté du garage d'Ocon a également subi des changements. Josh Peckett a remplacé Mark Slade comme ingénieur de course, tandis que Stuart Barlow a été recruté pour remplacer Peckett comme ingénieur de performance. Le trio avait déjà travaillé ensemble chez Manor lorsque Ocon a fait ses débuts en F1.

"Il s'entend mieux avec son ingénieur de course et son équipe en général", déclare Budkowski, directeur exécutif d'Alpine. "Il peut travailler de manière beaucoup plus constructive que l'année dernière. Et puis la confiance s'installe, surtout lors des séances de qualifications. Si vous devez tout mettre en place et que vous avez besoin de cette sorte d'osmose avec la voiture et l'équipe, cela fait la différence."

Cette alchimie était évidente d'Imola à Monaco, car Ocon a marqué des points quatre fois de suite et a atteint la Q3 à trois reprises, y compris avec des départs en troisième ligne au Portugal et en Espagne. Après avoir vu Alonso détruire Stoffel Vandoorne 21-0 en qualifications tout au long de la saison 2018, enregistrer quatre succès consécutifs le samedi et le dimanche face à l'Espagnol était un exploit impressionnant.

Budkowski a salué Ocon comme étant "un pilote nettement meilleur", tandis que le PDG d'Alpine, Rossi, a révélé en mai que des discussions étaient déjà en cours pour une prolongation de contrat, ce qui est inhabituellement précoce selon les normes de la silly season de la F1. Il a précisé qu'aucun autre pilote n'était envisagé, malgré les rumeurs concernant Pierre Gasly (sans parler du groupe de juniors d'Alpine en F2), tant l'équipe était impressionnée par ses performances. Rossi est même allé jusqu'à comparer Ocon au plus grand pilote français de la discipline, Alain Prost, pour ses qualités de "grand préparateur" et le fait qu'il est "très bon pour extraire le maximum de la voiture".

L'annonce d'un nouveau contrat en juin n'a donc rien eu de surprenant, même si la durée du contrat l'a été. Mais pour Rossi, la possibilité de s'attacher les services d'un pilote de la trempe d'Ocon n'était pas un hasard.

"Nous avons une vision des choses à moyen et long terme", explique Rossi. "Nous avons vu assez d'Esteban, nous savons qu'il est bon. Je ne veux pas me retrouver encore une fois à chercher un autre pilote après deux ans. Le passé récent a montré que ça ne tourne jamais vraiment dans le bon sens. Si vous avez un bon pilote, vous voulez le garder. Nous avons un long chemin à parcourir. Il adhère au projet et ajoute de la crédibilité à notre projet. C'est une garantie que nous allons être performants au niveau des pilotes."

Ocon est enthousiasmé par le potentiel qu'il voit chez Alpine, qui est vraiment au début de son voyage vers le sommet. Avec les nouvelles réglementations en 2022 et le plafond budgétaire qui vont niveler les chances, en donnant à l'équipe soutenue par Renault une opportunité de se battre contre des constructeurs plus établis, il pense que les possibilités de se battre pour plus que des points seront là.

"Nous faisons du très bon travail", a déclaré Ocon, qui a ensuite lancé un avertissement sur les "courses récentes" à la suite d'une baisse de forme après Monaco, qui l'a conduit à demander qu'un maximum de pièces soient changées sur son A521 pour Silverstone. Depuis, il s'est repris et a fait taire ceux qui ont utilisé sa mauvaise passe pour remettre en question son nouveau contrat avec Alpine de la manière la plus éclatante qui soit en remportant une course de F1.

Ocon ajoute : "Si nous continuons à faire le travail que nous pouvons, en extrayant le maximum de la voiture avec nos performances, nous pouvons être dans le top 10 aujourd'hui. Mais si nous parvenons à faire cela à l'avenir, peut-être que ce sera sur un podium." Quelques semaines plus tard, il découvrira qu'il a déjà une voiture gagnante sous la main lorsque les étoiles s'alignent, mais faire disparaître les nombreuses réserves liées à la course de Hongrie sera l'objectif à l'avenir.

"J'ai vu que changer d'équipe pouvait être délicat au début, et combien de temps il faut pour s'acclimater. Je me suis dit : 'Continuons l'histoire [avec Alpine], continuons et faisons de notre mieux'" Esteban Ocon

Rossi est également désireux de placer Ocon au cœur de l'avenir d'Alpine, en obtenant autant d'informations de sa part que possible, ce qui est un sacré compliment pour un jeune de 24 ans. "Entre les courses, quand il n'est pas là, il me demande : 'Que pensez-vous que nous puissions encore faire ?'" raconte Ocon. "Même si c'est parfois difficile cette année, nous continuons à travailler. Ce ne sont que des leçons à retenir pour l'avenir. Bien sûr, nous comptons sur ces nouveaux règlements. Nous devons faire un excellent travail dans ce domaine. Mais je me sens très bien intégré dans l'équipe et prêt à travailler avec eux pendant ces nombreuses années."

"Il est très généreux de son temps, il donne constamment de son temps même pour nous dans le cadre de la grande construction d'Alpine", déclare Rossi à propos d'Ocon. "Il propose toujours de se joindre au développement des nouvelles voitures, ou au travail de reconnaissance de la marque. C'est vraiment bien de l'avoir dans les parages. C'est aussi pour cela que nous l'avons signé pour trois ans."

Il est clair qu'Alpine a une très bonne opinion d'Ocon : alors pourquoi Mercedes n'a pas choisi de le recruter, étant donné les liens évidents ?

Toto Wolff a clairement indiqué dès le début que ce serait "à Laurent et Esteban de décider" avant que Mercedes ne s'implique, en disant à quel point il était impressionné par la progression et la croissance d'Ocon. Lorsque Ocon a discuté avec Wolff et Gwen Lagrue, le conseiller des jeunes pilotes de Mercedes, il était clair qu'ils pensaient qu'Alpine était le meilleur endroit pour poursuivre son développement.

"Nous avons discuté ensemble, et nous avons décidé que la meilleure chose pour moi était d'être chez Alpine ; pour développer une relation forte avec l'équipe, avoir potentiellement une grande voiture l'année prochaine, et me battre là-bas", explique Ocon. "J'ai vu que changer d'équipe pouvait être délicat au début, et combien de temps il faut pour s'acclimater. Je me suis dit : 'Continuons l'histoire [avec Alpine], continuons et faisons de notre mieux'. J'avais très envie de rester ici très longtemps."

Le contrat de trois ans d'Ocon ne contient aucune clause liée à Mercedes qui permettrait de le récupérer et Wolff est explicite sur le fait qu'Ocon est "un pilote Alpine à 100%". Mais il est difficile d'imaginer qu'il ne sera pas en haut de la liste à l'avenir lorsque Mercedes envisagera de recruter des pilotes. George Russell est peut-être l'héritier désigné à Brackley, mais Lewis Hamilton devra bien raccrocher son casque un jour. D'ici là, il est probable qu'Ocon aura beaucoup appris de l'expérience de construction de l'équipe au cœur de laquelle il se trouve chez Alpine, ce qui pourrait faire de lui un atout précieux pour Mercedes.

Mais pour l'instant, Ocon et Alpine sont dans le même bateau, battant pavillon tricolore et cherchant à tirer profit de la prochaine refonte de la réglementation pour faire de "Team Enstone" une force dominante à nouveau, et s'assurer que la victoire en Hongrie n'est pas un cas isolé. Et le secret pour y parvenir pourrait être la seule chose qu'Ocon a désiré pendant une grande partie de sa carrière : la stabilité.

"Nous avons une grande chance de très bien faire si nous produisons une super voiture dans les trois prochaines années", affirme Ocon. "Et si les voitures sont aussi proches les unes des autres que tout le monde le dit, avoir de la stabilité sera quelque chose de formidable, je pense. Cela pourrait faire toute la différence."

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