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L'intérim qui a permis à Jonathan Rea de prouver son talent en MotoGP

Appelé à remplacer Casey Stoner, blessé, pour deux courses en 2012, Jonathan Rea a marqué les esprits, et pourtant il ne s'est pas engagé à plein temps en MotoGP. Bien que ce qu'il a réalisé au guidon de la Honda aurait justifié qu'il rejoigne de façon permanente les Grands Prix moto, c'est en Superbike qu'il a depuis atteint le statut de légende.

Jonathan Rea, Repsol Honda Team

Jonathan Rea, Repsol Honda Team

Repsol Media

Nombreux ont été les pilotes à passer du Superbike au MotoGP, dans un sens ou dans l'autre, au cours des trois dernières décennies. On pourrait citer Cal Crutchlow ou Ben Spies, arrivés en MotoGP après avoir brillé en dérivées de la série, Nicky Hayden, formé dans la discipline aux États-Unis, sacré Champion du monde en MotoGP puis passé au WorldSBK où il a fini sa carrière, Troy Bayliss qui a coiffé les lauriers en Superbike avant d'accompagner le programme MotoGP de Ducati puis de revenir en WorldSBK pour ajouter deux titres à son palmarès, ou encore des pilotes comme Marco Melandri et Max Biaggi, partis vivre une seconde carrière en Superbike.

Ces dix dernières années, les pilotes arrivés en MotoGP avec dans leurs bagages une formation en WSBK ont connu un taux de réussite en chute libre, en raison notamment de la différence de réglementation entre les dérivées de la série et le championnat de prototypes, mais aussi, et c'est sans doute la cause première, de la réticence des constructeurs à proposer des machines abouties en Superbike. On a toutefois vu en 2012 une star du WSBK parvenir à faire ses preuves sur une MotoGP, et non des moindres.

Lorsque Casey Stoner, double Champion du monde MotoGP, a dû manquer trois courses à la mi-saison en raison d'une blessure à la cheville, Honda a fait appel à son meilleur pilote Superbike, Jonathan Rea, pour le remplacer lors des Grands Prix de Saint-Marin et d'Aragón. Pilote de la famille Honda depuis toujours, Rea était arrivé en WSBK fin 2008, dans un échange de guidon mis en place par Ten Kate une fois la course au titre pliée en Supersport, et au guidon de la CBR1000RR du team néerlandais il était un habitué de la victoire.

Mais passer de la Superbike à la RC212V d'usine imposait une adaptation totale, des pneus à l'électronique en passant par les freins. Tout était très éloigné de ce avec quoi Rea avait l'habitude de travailler en Superbike, sans parler du fait que la Honda de MotoGP souffrait cette année-là d'un fort chattering à l'avant après le changement de construction du pneu avant Bridgestone pour la saison 2012. Pour encore moins lui faciliter la tâche, ce remplacement lui a imposé d'alterner ses participations aux deux championnats durant cinq week-ends consécutifs. Le simple fait de voir l'arrivée des courses de Misano et d'Aragón aurait été un résultat louable, ce qui ne fait que donner encore un peu plus de valeur à ce qu'il a concrètement réalisé.

"Il a fait un travail incroyable, surtout si l'on considère qu'il a couru durant [cinq] week-ends consécutifs, alternant un week-end MotoGP et un week-end Superbike", se souvient Livio Suppo, ancien team manager Honda en MotoGP, pour Motorsport.com. "Cela signifie que, semaine après semaine, il a dû s'adapter à des pneus différents, à des freins différents, à un ensemble de choses différentes. Étant donné qu'il n'avait jamais testé la moto auparavant, il a fait du très, très bon travail. Nous avons été impressionnés par ses performances. Je me souviens aussi que les ingénieurs qui travaillaient avec lui avaient été très impressionnés par la façon dont il s'était adapté et dont il avait appris."

Jonathan Rea, Repsol Honda Team

Après un week-end Superbike au Nürburgring, Rea a rejoint Misano pour son premier Grand Prix MotoGP, et c'est sous la pluie qu'il a fait ses débuts, ne bouclant que quelques tours le vendredi. Le lendemain, il a disputé ses premières qualifications sur le sec et, bien qu'à une seconde et demie du poleman, son coéquipier Dani Pedrosa, il a tout de même pris place à une très belle neuvième position sur la grille de départ en ce 16 septembre 2012. En course, il allait encore grimper d'un cran et terminer à 43"1 du vainqueur, Jorge Lorenzo.

De retour au WSBK la semaine suivante au Portugal, où il est monté sur le podium, Rea a enchaîné avec le Grand Prix d'Aragón pour lequel il s'est qualifié en septième position, à un peu plus d'une seconde de la pole position et à seulement quatre dixièmes de Stefan Bradl qui pilotait la Honda du team LCR. Il a conservé sa position en course, réduisant de plus de dix secondes son retard sur le vainqueur par rapport à Misano.

Encore engagé en Superbike la semaine suivante à Magny-Cours, avec un nouveau podium à la clé pour ce qui était la dernière manche de la saison WSBK, Rea devait participer aux Grands Prix suivants, au Japon et en Malaisie, Stoner ayant initialement prévu de faire son retour à domicile, à Phillip Island. Mais l'Australien a finalement retrouvé sa moto à Motegi et la saison de Rea s'est arrêtée là.

Ce bref rôle de remplaçant de la star australienne reste encore aujourd'hui la seule apparition de Rea en MotoGP. Après avoir été tenté par un transfert en 2014, avec l'équipe Pramac Ducati, il a également révélé en 2018 avoir eu des discussions avec des équipes de Grand Prix pour un changement de championnat qui aurait pu se réaliser en 2019. Mais à chaque fois, le pilote nord-irlandais a opté pour le WSBK, où en 2015 il a réalisé le transfert déterminant dans sa carrière en passant chez Kawasaki. Depuis, il a remporté un nombre record de cinq titres de Champion du monde et compte à ce jour 96 victoires à son palmarès dans la catégorie, s'étant imposé comme le plus grand pilote de l'Histoire de la discipline.

Jonathan Rea, Repsol Honda Team

Les chances de voir Kawasaki revenir en Grand Prix et Jonathan Rea s'y engager à temps plein, alors qu'il a désormais 33 ans, sont objectivement très minces. Une hypothèse alternative a pris corps lorsque Carmelo Ezpeleta, PDG de Dorna Sports, a évoqué il y a quelques mois le fait que le constructeur japonais se serait renseigné sur la possibilité de faire une apparition en MotoGP en tant que wild-card, avec sa machine de Superbike. Un scénario insensé, hautement improbable… Mais que se passerait-il s'il se réalisait ?

Par curiosité, nous avons laissé notre esprit vagabonder vers cette utopie et dédié un après-midi studieux à comparer les chronos du WorldSBK et du MotoGP sur deux des pistes que les deux séries partagent : Phillip Island et Jerez.

Nous avons pris en considération le temps de qualifications de Rea et son meilleur temps en course lors de la deuxième course de la manche australienne du WorldSBK en février. Son tour de Superpole de 1'29"598, qui lui a valu la troisième place sur la grille de départ avec la Ninja, aurait suffi à lui valoir la neuvième place lors des qualifications du Grand Prix d'Australie MotoGP 2019, malgré un déficit de 1"1 sur le poleman Maverick Viñales. Quant à la course, le meilleur temps de Rea a été de 1'32"040, soit 2"5 de moins que celui de Viñales. En supposant que cet écart ait pu se maintenir sur 27 tours, le Nord-Irlandais aurait fini dernier à 1'07"5 de la tête de la course MotoGP. Il est à noter toutefois que le WorldSBK avait disputé son épreuve sur une piste dont la température était supérieure de 10°C par rapport aux conditions rencontrées par les pilotes MotoGP quatre mois plus tôt.

Si l'on prend Jerez comme autre comparatif, Rea y a décroché la Superpole l'année dernière en 1'38"247, à environ 1"5 de la pole MotoGP de Fabio Quartararo et en se montrant plus rapide que six pilotes MotoGP, avec des épreuves disputées à un mois d'écart. Cette année, les deux championnats se sont rendus en Andalousie en juillet et Rea s'est qualifié deuxième en 1'38"770, à deux secondes de Quartararo, à nouveau poleman en MotoGP. Sur la distance de course, un retard d'environ 0"8 sur le meilleur pilote MotoGP en 2019 − en l'occurrence Marc Márquez − aurait permis à Rea de terminer à seulement 20 secondes de la victoire l'an dernier, en 13e position. Cette année, l'écart a été plus marqué, plus similaire à celui que nous venons de citer pour Phillip Island : la première course de Jerez a en effet vu Rea tourner en 1'40"8, à 2"5 et 2"7 du meilleur temps en course établi par Márquez (GP d'Espagne) et Quartararo (GP d'Andalousie), ce qui l'aurait placé entre 1'02"5 et 1'07"5 du vainqueur MotoGP après 25 tours.

Bien entendu, ce rapide comparatif doit être pris avec des pincettes et sa justesse est toute relative. On le sait, le WSBK utilise des pneus de qualification, dont le MotoGP ne dispose pas. La ZX-10RR a été développée autour des pneus Pirelli et Rea serait probablement beaucoup plus loin du rythme avec les gommes Michelin qu'il ne connaît pas. Quant au dimanche, il pourrait s'y montrer plus lent sur certains circuits que ne le suggèrent les données de cet échantillon comparatif. Et puis il y a bien sûr la différence de puissance entre les deux types de machines. Avec 220ch d'un côté et 270ch de l'autre, Rea ne pourrait pas contenir beaucoup d'adversaires en ligne droite, sans compter que les freins en acier de sa machine opposés au carbone des MotoGP ne lui feraient pas gagner beaucoup de combats en entrée de virage non plus.

Avouons-le, au-delà du fantasme c'est une bonne chose que la cohabitation entre ces deux types de motos ne soit pas autorisée, et cela ne ferait que masquer la véritable envergure d'un grand pilote des temps modernes. Car on peut penser ce que l'on veut des dérivées de la série, que certains aiment à critiquer et à rabaisser, il s'agit d'un championnat solide et de grands pilotes y cohabitent. Le fait que Rea ait été presque invincible depuis qu'il a rejoint Kawasaki, et qu'il soit même parvenu à conserver le titre l'année dernière alors qu'Álvaro Bautista n'avait laissé échapper aucune des 11 premières courses sur la nouvelle Ducati Panigale V4 R, est dû encore une fois à son immense talent.

Jonathan Rea, Repsol Honda Team

S'il n'a eu que deux week-ends pour faire ses preuves en MotoGP, ses deux participations impromptues en 2012, sur une moto jugée difficile, ont été des plus impressionnantes et elles ont à elles seules prouvé que Rea aurait sans aucun doute pu être un pilote de pointe en MotoGP s'il avait disposé d'un bon package. Certainement assez pour que la Grande-Bretagne puisse fêter un deuxième pilote victorieux en MotoGP, même s'il lui aurait peut-être été difficile de renverser Marc Márquez (arrivé en 2013 en remplacement de Stoner), comme le concède Livio Suppo.

"Je pense que son talent fait qu'il méritait de courir en MotoGP," souligne l'ancien responsable d'équipe. "Mais c'est la vie, et pour une raison quelconque, il n'a jamais eu la bonne opportunité quand il était jeune, puis il s'est senti trop vieux pour faire le grand saut et a préféré rester [en WorldSBK] avec un très bon contrat avec Kawasaki."

"En fin de compte, il y a dans notre sport des héros, comme Troy Bayliss, qui sont des héros grâce à ce qu'ils ont fait en Superbike, plus qu'en MotoGP. Honnêtement, concernant Jonathan, je ne pense pas qu'avec Marc en piste il aurait pu gagner [en MotoGP] cinq championnats [comme il l'a fait] en Superbike. Il est difficile d'imaginer Jonathan battre cinq fois un gars comme Marc. Donc, il aurait pu être un bon pilote, un top pilote en MotoGP, mais il est maintenant une légende parce qu'il a énormément gagné en Superbike."

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