Pourquoi Pirro juge que Vettel méritait sa pénalité au Canada

Commissaire-pilote lors du Grand Prix du Canada 2019 de Formule 1 et pilote multititré en Endurance et en tourisme, Emanuele Pirro a participé à la décision de sanctionner Sebastian Vettel pour son retour en piste dangereux en juin dernier. Il revient en détail sur cette pénalité controversée, alors qu'il s'apprête à retrouver le poste de commissaire lors du Grand Prix de Belgique.

Sebastian Vettel, Ferrari SF90 et Lewis Hamilton, Mercedes AMG F1 W10 en lutte

Sebastian Vettel, Ferrari SF90 et Lewis Hamilton, Mercedes AMG F1 W10 en lutte

Zak Mauger / Motorsport Images

Au 48e tour du Grand Prix du Canada, Sebastian Vettel commet une erreur en arrivant dans le virage 3. Perdant légèrement l'arrière de sa Ferrari au moment de tourner, il doit contre-braquer et ne peut faire autrement que tirer tout droit, dans l'herbe. À son retour en piste, à la sortie du virage 4, il se retrouve légèrement hors trajectoire à l'intérieur puis se déporte sur la droite, revenant vers la trajectoire normale et vers le mur. Lewis Hamilton, qui le suivait de près et était lui resté sur la piste, s'est déjà engagé sur la droite, avec bien plus de vitesse, quand il voit la porte se refermer. Le Britannique est contraint de mettre quatre roues hors piste et de freiner pour éviter la collision.

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Les commissaires sont saisis de l'incident et doivent se prononcer sur la responsabilité de Vettel. L'Allemand a-t-il oui ou non effectué une manœuvre dangereuse ? En un quart l'heure, la décision est prise et est annoncée dès le 57e tour de course : la Ferrari #5 est pénalisée de cinq secondes pour un retour dangereux en piste. La suite est désormais entrée dans l'Histoire de la Formule 1.

Commissaire-pilote ce jour-là, Emanuele Pirro a participé à la réflexion autour de l'incident et à la décision prise par le collège des commissaires. Dans un long entretien accordé à FormulaPassion.it, pour sa première prise de parole aussi longue depuis le mois de juin, il est revenu sur les faits et la façon dont la règle a été appliquée. Aussi, quand il lui est tout simplement demandé pourquoi le quadruple Champion du monde avait été pénalisé, il répond en commençant par rappeler les mots de l'article 27.3 du Règlement Sportif : "La règle est claire : celui qui sort de piste peut revenir s'il est en mesure de le faire, à condition qu'il agisse en sécurité et sans en tirer d'avantage ; essayer de maintenir à tout prix sa position signifie en tirer un avantage."

Vettel "avait le contrôle" et "a fermé la porte"

Même si beaucoup se sont prononcés, parfois de façon péremptoire, à la simple vue des images, Pirro avait en plus – comme tous les commissaires – accès à de nombreuses données télémétriques pour se faire une opinion. "Avant toute chose, j'ai tout de suite voulu comprendre à quel point la manœuvre de retour [en piste] de Vettel a empêché le dépassement de Hamilton. Et j'ai alors vu sur la télémétrie, en temps réel, que le pilote Mercedes avait agi sur ses freins de manière répétée jusqu'à réduire sa vitesse de plus de 70 km/h. S'il n'avait pas dû freiner pour éviter une collision, il aurait facilement dépassé Vettel. La deuxième chose que j'ai essayé de comprendre, c'est pourquoi Vettel avait suivi cette trajectoire. J'ai alors été contrôler l'ouverture du papillon de gaz de sa Ferrari, et j'ai vu qu'à partir du moment où il est allé sur l'herbe, après un très rapide contre-braquage, il a tout de suite commencé à accélérer, en cherchant à minimiser la perte de temps. Comme tout le monde l'aurait fait, et y compris moi."

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Et à partir de là, les commissaires ont jugé que l'Allemand avait le contrôle de sa SF90 et avait avant tout cherché à empêcher Hamilton de le dépasser : "Il a fait un contre-braquage parfait et il a remis sa monoplace droite, ce qui est la seule façon de 'survivre' [...] à une excursion sur l'herbe. À partir du moment où la voiture était droite, sa priorité n'a plus été de ne plus faire de tête-à-queue, mais de ne pas perdre de position, en accélérant le plus possible. Tout le monde aurait fait cela. Vettel a perdu l'arrière un instant, puis il a tout de suite pensé à rester en tête. Et il a 'coupé la route' à Hamilton alors qu'il suffisait de le faire freiner sans provoquer d'accident. Du reste, ils ne sont pas Champions du monde par hasard. Ils savent très bien ce qu'ils font."

"Vettel a fermé la porte à Hamilton. C'est un fait, cela se voit sur les images. Mais notre question était : l'a-t-il fait volontairement ou parce que sa Ferrari était hors de contrôle ? Et je le répète, quand on voit le papillon de gaz ouvert, on comprend qu'il a le contrôle de l'auto. Beaucoup ont souligné qu'il n'avait jamais tourné le volant vers la droite : il n'en avait pas besoin. Les deux voitures, en effet, avaient des trajectoires convergentes de 30° : elles se dirigeaient l'une vers l'autre, il suffisait d'aller tout droit. S'il voulait être sûr de ne pas rentrer dans Hamilton ou de ne pas le ralentir, Vettel aurait dû tourner le volant à gauche."

"Non, il a continué à la fermer en gardant le volant droit. Ce sont des raisonnements élémentaires que moi, avec dix ans d'expérience en tant que commissaire, j'ai faits en un battement de cil. Et pourtant j'ai vu que des gens, même compétents, ne les ont pas faits…"

Le cas Hamilton-Ricciardo à Monaco 2016 n'a "rien à voir"

Parmi les nombreux arguments avancés pour essayer de décrédibiliser la sanction, l'un concernait le cas de l'incident entre Lewis Hamilton et Daniel Ricciardo à Monaco en 2016. Au 37e tour de l'épreuve monégasque, le Britannique, en tête, glisse au freinage de la Chicane du port et tire dans l'échappatoire, avant de revenir en piste avant même la fin de la chicane. Plusieurs dizaines de mètres après, une fois la chicane passée, l'Australien qui le menace tente de passer par la droite mais n'y parvient pas, l'écart entre la Mercedes et le rail étant à peine de la taille de sa Red Bull. À l'époque, Hamilton n'avait pas été pénalisé, mais l'incident avait été jugé comme une lutte en piste et non pas comme les conséquences d'un retour dangereux puisqu'il avait eu lieu bien après ce dernier.

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"Toujours dans leur volonté de ne pas approfondir, beaucoup ont comparé les deux épisodes, mais en réalité ils n'ont rien à voir car Ricciardo, en analysant la télémétrie et les images, n'avait même pas réussi à tenter le dépassement sur Hamilton", explique Pirro, qui était également dans le collège des commissaires à Monaco en 2016. "Je comprends que selon les images prises de devant, la manœuvre de Hamilton puisse sembler mériter une sanction, mais en réalité Ricciardo, sur la droite, a trouvé une piste humide et mouillée, et ce n'est donc pas Hamilton qui a poussé Ricciardo vers le rail mais Ricciardo qui est passé sur une flaque et a perdu tout son avantage à l'accélération et qui a dû renoncer à sa tentative de dépassement : aucune responsabilité du pilote Mercedes."

"Par le passé, il n'y avait pas besoin d'arbitre"

Même s'il estime que la pénalité de Montréal était justifiée et si celle-ci n'a pas été remise en cause dans le processus de révision demandé par Ferrari dans les jours qui ont suivi le GP du Canada, elle a cristallisé une forme de rejet, de la part du public notamment, de la sévérité présumée des instances envers certaines manœuvres en piste. Deux semaines plus tard, ce même débat a été relancé par les différents incidents dans lesquels Ricciardo avait été impliqué dans le dernier tour du GP de France et plus encore, évidemment, au moment du GP d'Autriche où Max Verstappen l'a emporté en forçant Charles Leclerc à sortir de piste. Le Néerlandais n'a pas été pénalisé, sur la foi de critères qui n'avaient jusque-là pas été pris en compte, laissant penser qu'un changement s'opérait alors dans la façon d'appréhender ces situations, en raison des polémiques récentes.

"J'ai beaucoup pensé à l'impact qu'a eu la pénalité que nous avons donnée à Vettel. Elle a été minime : elle aurait pu être plus lourde", ajoute Pirro, avant d'analyser le contexte d'une telle décision. "Dans la définition commune des courses, il n'est pas possible que celui qui ne gagne pas en piste ne soit pas le réel vainqueur, n'est-ce pas ? Je me suis demandé comment ça se faisait. Culturellement, le passionné de sport auto n'est pas habitué à avoir un arbitre, parce que par le passé il n'y en avait pas besoin."

"Autrefois, disons jusqu'à il y a 20 ans, on payait ses erreurs soi-même, de par la dangerosité des pistes et des voitures, qui avaient un effet dissuasif sur les pilotes et les poussaient à s'auto-réguler. Ça fonctionnait. Il y avait un respect différent entre les pilotes. Cela a évolué avec les années. Depuis qu'il y a des commissaires-pilotes, les dirigeants ont poussé pour qu'il y ait de la constance et de la cohérence dans le jugement. Petit à petit, on est allé vers une plus grande sévérité : ou blanc ou noir, aucune zone grise. Soit on peut le faire, soit on ne peut pas, point. Aujourd'hui, il faut composer avec cette rigidité – ou cette attention, si l'on veut – pour avoir de la cohérence."

Le coup de téléphone de René Arnoux

Sur le plan humain, Pirro a été largement touché et "blessé" par les insultes et les menaces dont il a fait l'objet après le GP du Canada. S'il est difficile de nier le rôle qu'a pu jouer Sebastian Vettel dans cela, en participant à embraser le débat par ses mots et ses actes après la course de Montréal, l'Allemand n'a pour autant pas affiché de ressentiment vis-à-vis du quintuple vainqueur des 24 Heures du Mans. Au contraire.

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"Il a été très gentil", affirme Pirro, qui salue également l'attitude de la Scuderia Ferrari. "Au GP suivant celui du Canada [au Paul Ricard], dans le paddock, il est arrivé derrière moi à vélo, il m'a donné une tape sur l'épaule et m'a serré la main. On s'est dit : 'On prend un café ensemble ? Oui, avec plaisir'. Ensuite, ça ne s'est pas fait, parce que je ne l'ai plus cherché, pour ne pas le déranger. Il a fait un beau geste, qui n'était pas nécessaire et qui n'a pas été dû au hasard. Le problème du Canada est venu du reste du monde. Avec Ferrari, aucun problème. Camilleri a fait des déclarations très sportives. Binotto idem. Je ne peux pas m'attendre à ce qu'ils soient d'accord, mais quand ils disent 'Nous acceptons la décision', qu'y a-t-il d'autre à ajouter ? Ils ont très bien compris que j'en ai été vraiment désolé, en tant que sportif et en tant qu'Italien."

Mais le témoignage de sympathie le plus marquant est peut-être celui de René Arnoux. L'ancien pilote français, qui a couru en F1 dans les années 1970 et 1980 pour Renault, Ferrari et Ligier notamment, signant sept victoires et 18 pole positions, a pris part à ce qui est souvent considéré comme LA plus belle bataille de l'Histoire de la discipline reine, à savoir la lutte pour la seconde place avec Gilles Villeneuve lors du Grand Prix de France 1979, à Dijon. Beaucoup de fans et d'observateurs se servent souvent de cette célèbre passe d'armes, et s'en sont abondamment servi après Montréal, pour mettre en relief les prétendus spectacle d'hier et aseptisation d'aujourd'hui, oubliant au passage que nombre de pilotes expérimentés avaient à l'époque grandement désapprouvé le comportement des deux hommes.

Quoi qu'il en soit, Pirro raconte : "Après le Canada, René Arnoux m'a appelé, entre autres, et cela m'a vraiment fait plaisir. Il m'a dit qu'il était désolé de ce qui était arrivé et il a ajouté : 'Peu de gens ont compris ce qui s'était passé au Canada. De mon temps, ces choses-là ne seraient pas arrivées'."

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Quand il lui est demandé sur le ton de l'humour quelle aurait été la sanction pour cette lutte, l'Italien de répliquer : "Cette bagarre a toujours été l'exemple de comment il faudrait courir roue contre roue, en se respectant. Arnoux m'a dit : 'À Dijon, j'ai mis ma vie entre les mains de Gilles, et Villeneuve a fait de même. Nous savions que le respect n'aurait jamais manqué et que nous pouvions nous faire confiance l'un à l'autre'."

Puis il conclut en rappelant une vérité immuable, et qui s'est vérifiée à de nombreuses reprises lors des dernières courses et dans l'Histoire de la Formule 1 : "J'ajoute que courir dans les règles ne signifie pas courir sans offrir de spectacle. Le duel entre Albon et Kvyat, qui [étaient] coéquipiers, en Hongrie est la preuve que si l'on applique le règlement comme il faut, les courses n'y perdent pas mais, au contraire, elles y gagnent."

Avec Léna Buffa   

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