La longue bataille de Morbidelli pour retrouver sa compétitivité

Depuis son titre de vice-Champion du monde MotoGP en 2020, Franco Morbidelli n’a plus jamais retrouvé les avant-postes. Pourtant, il ne se défait pas de son calme et donne tout pour changer son style de pilotage.

La chute de Franco Morbidelli, Yamaha Factory Racing

Photo de: Gold and Goose / Motorsport Images

Peu de prédictions effectuées au début de l'hiver 2020 se sont révélées exactes par la suite. Personne, en effet, ne misait sur le fait que Franco Morbidelli, avec la spécification A de la Yamaha au sein du team SRT, serait le pilote le plus compétitif de la marque aux diapasons avec trois victoires et en manquant le titre de seulement 13 points.

Morbidelli, pourtant Champion du monde Moto2 2017 et l'une des figures de l'académie de Valentino Rossi, semblait alors déjà mis sur le carreau avec cette spécification A, une ancienne Yamaha. Il avait effectué une saison anonyme sur la M1 du SRT en 2019 et s'était retrouvé relayé dans l'ombre de son sensationnel coéquipier et rookie Fabio Quartararo, qui avait décroché sept podiums et six pole positions.

Début 2020, Quartararo avait été promu sur une M1 disposant de la toute dernière spécification au sein de l’équipe SRT et avait déjà signé pour l'équipe Yamaha officielle pour 2021 afin de remplacer Rossi. De son côté, Morbidelli devait rouler avec la moto 2020 mais celle-ci lui avait finalement été retirée au dernier moment et avait été remplacée par la spécification 2019, Yamaha mettant de fait tous ses œufs dans le même panier en misant sur Quartararo.

Si le Français a gagné trois fois en 2020, il n'est pas parvenu à obtenir d'autres podiums et a manqué de régularité, perdant lors des six dernières courses toute l'avance qu'il avait conquise au championnat, et passant ainsi de la première à la huitième place du classement général.

À l'heure de la dernière victoire de l'année de Quartararo, à Barcelone, Morbidelli disposait de 31 points de retard et était encore considéré comme un outsider, deux semaines après avoir décroché sa toute première victoire. Avec le recul, c'était une erreur. Morbidelli avait été façonné par le "coup de pied aux fesses", comme il l’avait alors dit à Motorsport.com, reçu par la performance de Quartararo en 2019 et prenait plaisir à être considéré comme un outsider.

Une deuxième victoire en Aragón décrochée sous l'immense pression d’Álex Rins, et une troisième arrachée à Valence au terme d'un duel animé avec Jack Miller prouvaient que Morbidelli savait gérer la pression et jouer des coudes. Ça n'aura toutefois pas été suffisant pour décrocher le titre. La fiabilité de sa Yamaha lui avait en effet fait défaut en début de saison lorsque son moteur avait cassé tandis qu'il était quatrième du Grand Prix d'Andalousie, et lui a finalement coûté ces 13 points face à Joan Mir.

Franco Morbidelli sur la plus haute marche du podium au GP de Valence 2020.

Franco Morbidelli sur la plus haute marche du podium au GP de Valence 2020.

Ça n'a probablement pas non plus été suffisant pour convaincre Yamaha qu'il pouvait rouler sur une moto d'usine en 2021. Considérant que la décision d'allouer des ressources arrivait trop tard, et la saison 2021 revenant à un développement normal après le gel lié au COVID-19, le constructeur laissait alors à l'Italien la moto 2019. Celle-ci était alors à la peine lors des premiers Grands Prix, et il ne pouvait faire mieux qu'une troisième place à Jerez, avant de se blesser au genou et de manquer cinq courses, entre Assen et Misano.

En son absence, Maverick Viñales quittait de façon inattendue et immédiate l'équipe Yamaha officielle, lui permettant de se retrouver en possession d'un contrat de deux ans qui lui offrait une promotion instantanée. Mais la transition s'est révélée plus compliquée que prévu. Handicapé par sa blessure, l'Italien n'a marqué que sept points lors des cinq dernières courses de 2021. Mais plus encore que cette gêne, le véritable handicap est venu du bond effectué par Yamaha entre la moto 2019 et la 2021, ce qui allait avoir un impact pour 2022.

Trop doux pour le nouveau package

À la question de savoir s'il a été surpris par la grande différence qui existait entre les deux motos, Morbidelli répondait un oui exaspéré le mois dernier à Assen, juste avant la pause estivale : "Une fois pour toutes, oui, mais disons que la moto a changé dans la bonne direction, vers une amélioration de sa performance, du grip, de tout. Pour utiliser ce genre de potentiel, il faut être agressif, il faut avoir un pilotage dur, et je suis plutôt du genre doux."

Bien que l'ADN de la Yamaha reste inchangé et continue de livrer le maximum de son potentiel avec sa vitesse de passage en courbe, la façon d'y parvenir a de toute évidence changé lors de l'évolution effectuée entre la moto 2019 et le package actuel. C'est une chose que Quartararo avait relevé lors d'un entretien accordé à Motorsport.com l’an passé.

"Je pilote différemment par rapport à l'année dernière, ce n'est pas vraiment naturel mais ça fonctionne bien", expliquait-il. "Je peux sentir la limite, je peux être très rapide et je pense que pour le moment ça fonctionne très bien. Normalement je suis un pilote qui va très vite dans les virages, et maintenant j'essaye d'être un peu plus comme un animal, en freinant super tard, en essayant de piloter de façon un peu différente."

C'est précisément ce pilotage animal qui n'est pas vraiment naturel pour Morbidelli ni pour Andrea Dovizioso, qui connaît une saison également difficile sur la M1 au sein du team RNF. Comparé à Quartararo qui a gagné trois courses et mène le championnat avec 172 points, le duo italien n'a marqué que 35 points et se situe aux 19e et 22e rangs du classement général. Or Yamaha a besoin d'un pilote agressif en entrée de virage et capable de trouver de la vitesse tout en relâchant les freins, ce que Quartararo parvient à faire grâce à l'incroyable confiance qu'il a en l'avant de sa moto.

Franco Morbidelli au GP des Pays-Bas.

Franco Morbidelli au GP des Pays-Bas.

Se reconnaissant lui-même trop "doux", Morbidelli a un style de pilotage très lié à la Yamaha 2019 qu'il a pilotée pendant deux ans et demi. Parvenir à modifier cela ne se fait pas du jour au lendemain et est compliqué par le temps limité dont il dispose en piste. Cinq jours de tests ont été permis lors de la pré-saison 2022. Ensuite, lors d'un week-end de course, chacune des trois premières séances d'essais libres se voit amputée de dix minutes sur les 45 prévues afin d'effectuer le time attack qui permet de garantir sa place en Q2. Si l'on ajoute à cela l'ultra compétitivité du MotoGP actuel, les pilotes ne disposent pratiquement plus de temps pour s'adapter.

Morbidelli n'a par ailleurs décroché qu'un seul top 10 cette saison (une septième place ndlr), dans les circonstances particulières d'un Grand Prix d'Indonésie disputé sous la pluie. "Quand il y a peu d'adhérence, mon style de pilotage doux est payant", a-t-il expliqué. "Mais quand il y a plus d'adhérence, mon style de pilotage ne paie pas en pneus tendres. C'est donc important de changer un peu ma façon de contrôler la moto. [Je dois] la contrôler différemment afin d'en exploiter tout le potentiel, qui est élevé. C'est important de faire ça."

J'ai compris une chose importante, qui est que pour être rapide sur cette moto, je dois changer.

Franco Morbidelli

Le pilote italien a toujours fait preuve d'un incroyable état d'esprit. Bien qu'il ait parfois balayé l'idée selon laquelle il ne s'énerve jamais, il n'a jamais été vu en train de balancer des choses dans son box ou de perdre ses nerfs lorsque les temps sont durs. C'est cette approche mentale, qui l'a vu traverser des moments extrêmement difficiles du point de vue personnel au milieu de ses succès en carrière, qui semble prendre le dessus dans sa lutte actuelle.

"J'ai compris une chose importante, qui est que pour être rapide sur cette moto, je dois changer. Même si je sais que mon style de pilotage est payant dans certaines conditions et avec un certain type de châssis, je dois quand même changer, parce que je pilote ce châssis, je pilote cette moto, je suis dans cette équipe. Je vais changer, je vais devoir changer", a-t-il lâché.

"C'est piégeux de changer ce genre de choses. Il faut changer plein de choses, peut-être aussi sa personnalité, je ne sais pas, mais il faut beaucoup changer. Je pense que ça va être amusant, le processus sera amusant. On va voir si je vais y parvenir."

Le temps est heureusement de son côté puisque, malgré un marché des pilotes très agité à la suite du départ de Suzuki en fin de saison et des rumeurs voyant son guidon menacé, Yamaha continue de lui accorder sa confiance. Sa seconde année de contrat sera honorée, ce qui signifie qu'il peut aborder la seconde partie de saison en se concentrant uniquement sur son adaptation à la moto.

Que ses liens étroits avec Rossi aient joué un rôle ou non, un pilote du calibre de Morbidelli (Champion du monde Moto2 et triple vainqueur en MotoGP dans une ère plus compétitive que jamais) mérite une certaine marge de manœuvre pour être compétitif. Notamment car, à son plus haut niveau, le #21 avait été le sauveur de Yamaha il y a deux ans.

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