Verstappen et la périlleuse stratégie du risque

Victime d'un accident terrible, dont il s'est heureusement tiré indemne, et d'un résultat blanc, Max Verstappen a été le grand perdant de l'accrochage avec Lewis Hamilton à Silverstone. Une issue extrême qui est en partie la résultante d'un style de pilotage radical payant la plupart du temps, mais à haut risque.

L'auteur de la pole position Max Verstappen, Red Bull Racing

L'auteur de la pole position Max Verstappen, Red Bull Racing

FIA

La lutte puis l'accrochage entre Lewis Hamilton et Max Verstappen au départ du GP de Grande-Bretagne, la violente sortie de piste du Néerlandais dont il sort debout mais sonné ou encore la victoire sur le fil du septuple Champion du monde surmontant sa pénalité sont des images taillées pour entrer dans la légende de la Formule 1. Le temps nous dira si elles étaient symboliques de cette saison et de celles à venir, ou seulement anecdotiques.

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Les passions se sont déchaînées, à peine la poussière des graviers était-elle retombée, autour de la question de la responsabilité des deux pilotes dans l'accident puis sur la sanction, pour ensuite, comme souvent quand un incident concerne deux pilotes sportivement et médiatiquement au sommet, se muer en un combat de rue où chaque camp s'envoie les pires insultes et horreurs comme pour montrer qu'on défendra son champion coûte que coûte.

Les commissaires, c'est leur rôle, ont tranché : Hamilton a été jugé "majoritairement responsable" de l'incident à Copse, coupable de n'avoir pas pris une trajectoire l'amenant vers la corde du virage, ce qui l'a conduit à sous-virer dans Verstappen. Il a été sanctionné de 10 secondes de pénalité et de deux points sur sa Super Licence.

Et soyons clairs d'emblée : il n'y a rien, dans ce qu'a fait le Néerlandais à ce moment précis, qui soit répréhensible sur le plan du règlement ou des précédents, dans la mesure où il avait tout à fait le droit de défendre sa position de cette manière et où il y avait suffisamment de place pour qu'une voiture puisse passer sur l'intérieur.

Maintenant, passé cette étude froide et en décortiquant tous les ralentis de l'incident seul, et quoi que l'on puisse penser de cette décision et des responsabilité des uns et des autres, cet accrochage s'inscrit dans un contexte, et même plusieurs. Celui, d'abord, de ce premier tour, où le clash intervient après un demi-tour de lutte déjà âpre pour la si précieuse première place. Celui, ensuite, de ce week-end complet où, à domicile, Hamilton a signé le meilleur temps des qualifications avant de perdre la pole sur les 25 premiers mètres des Qualifications Sprint. Celui, enfin, de cette saison où le rapport de force, après avoir été en faveur de Mercedes, penche désormais nettement vers Red Bull depuis une demi-douzaine de GP.

Dans ces différents cadres, il y a une constante : la confrontation directe entre Hamilton et Verstappen. Le Britannique, désormais âgé de 36 ans, est rompu à l'exercice de la lutte pour le titre, en a connu les cruelles déceptions et les délicieuses joies, sait jouer différentes cartes à différents moments pour tenter d'en sortir vainqueur ; cela ne le rend pas parfait, loin de là comme la saison l'a prouvé jusqu'ici, mais forcément redoutable, même au volant d'une monoplace légèrement en deçà.

De l'autre côté, Verstappen, du haut de ses 23 ans et plus de 120 Grands Prix, "débute" sa carrière de prétendant à la couronne. Le Néerlandais est un pilote redoutable également, par son rythme pur, par sa gestion plutôt mature des courses, par son audace mais aussi par son appétence pour les situations de risque.

Jusqu'à Silverstone cette saison, les affrontements entre Verstappen et Hamilton ont déjà été plutôt musclés : ils se sont concentrés sur les quatre premiers Grands Prix. L'épisode de Bahreïn a été le plus prudent de part et d'autre, trop pour le pilote Red Bull qui a fauté en sortant de la piste pour dépasser son concurrent. En revanche, à Imola, nul besoin de dire qu'en poussant très autoritairement Hamilton hors piste dans le premier virage, le Néerlandais a rappelé qui il était.

Ce style sans compromis, reconnaissable entre mille par son mélange de spontanéité, de courage et de prise de risque, est une marque de fabrique mais aussi une marque tout court parfois laissée sur la "peau" de la concurrence. D'ailleurs, deux semaines après, en souvenir, Hamilton dépassait Verstappen à Portimão avant de contrer son baroud d'honneur par une invitation ferme à aller visiter les bas-côtés s'il continuait sur cette voie.

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Enfin, à Barcelone, Verstappen tentait et réussissait une manœuvre là encore très osée au premier virage, s'emparant de la tête en retardant son freinage et en forçant l'intérieur sur son homologue. Un dépassement aussi risqué que vain puisque, à la stratégie, le pilote Mercedes l'emporta finalement, se targuant justement d'avoir su éviter l'accrochage en sachant que la course serait longue.

Depuis ces quatre Grands Prix et affrontements, la dynamique de la saison a basculé : envolé le "meilleur début de saison de la carrière de Hamilton", qui s'est cassé les dents sur le rocher monégasque, s'est pris les pieds dans le tapis azéri, s'est incliné à la stratégie au terme d'un thriller à la française et a été impuissant à renverser le taureau rouge dans les montagnes styriennes. Alors qu'il comptait 14 points de retard au soir de Barcelone, en arrivant à Silverstone, Verstappen disposait ainsi de 32 points d'avance, autant dire un bon matelas à ce stade de la saison, accompagné d'une dynamique nette.

Mais ce que l'on a vu en Angleterre, c'est un Verstappen déterminé à ne pas offrir à Hamilton la moindre opportunité, à ne pas lui laisser sortir la tête de l'eau, lors d'un Grand Prix où les forces ont paru se rééquilibrer légèrement. Les 0"075 d'avance en qualifs ont eu un goût amer, mais bien vite effacé lors de la course qualificative. Toutefois, déjà, le premier tour des Qualifs Sprint donnait le ton : le Néerlandais n'était absolument pas disposé à céder, même d'un pouce, à grands coups de zigzags dans la ligne droite ou de manœuvres tranchantes de défense pour ne surtout pas laisser l'intérieur à Hamilton en abordant Copse.

Cela a "suffi" à lui assurer la pole, mais le lendemain il s'est vite retrouvé à nouveau sous la pression de Hamilton, faisant étalage de sa défense sans compromis : passage hors piste pour conserver sa position au virage 1, côte à côte jusqu'à l'effleurement dans la ligne droite, plongée sur le vibreur et traversée intégrale de la piste pour bloquer le virage 6 avant un décalage vif pour couper l'intérieur à l'approche de Copse.

Problème : Hamilton, retenant les leçons de la veille, n'a pas pris l'extérieur qui l'aurait empêché à coup sûr de dépasser par manque d'appui mais a au contraire choisi d'aller dans l'espace laissé par Verstappen. Surpris, le Néerlandais a alors maintenu son adversaire le plus près possible du mur le plus longtemps possible avant de s'ouvrir l'angle en bifurquant légèrement à gauche pour ensuite braquer fort afin de prendre le virage. Second problème : Hamilton était encore là, à un endroit où il allait quoi qu'il arrive sous-virer par rapport au point de corde idéal. Les deux hommes n'ont rien lâché, jusqu'à un ralentissement opéré par le septuple Champion au moment où il s'est aperçu que la Red Bull virait sur lui. Trop tard.

Dans l'accrochage en lui-même, je pencherais personnellement pour un incident de course, tout en acceptant que si l'on doit véritablement chercher une responsabilité, elle penche plutôt du côté de Hamilton. Si l'on devait résumer ma vision des torts en pourcentages, je dirais 55 à 60% pour Hamilton et 45 à 40% pour Verstappen. Le Britannique avait en théorie la place de passer un peu plus à la corde s'il avait braqué et/ou ralenti plus tôt, c'est un fait.

Toutefois, il est tout de même difficile d'exclure de l'équation la manière dont Verstappen a choisi de passer ce virage abordé à deux de front. Elle est dans la lignée d'un style sans compromis, où l'une des techniques (pas la seule, évidemment) de son pilotage en combat rapproché consiste à faire reposer une grande partie du risque de l'accrochage sur son adversaire, de sorte que le sort de la suite de course des deux pilotes repose en dernier lieu sur l'autre et non sur lui, puisqu'il a de son côté déjà pris sa décision, souvent radicale.

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C'est une caractéristique qui donne souvent des moments brillants et surtout impressionnants, car elle exige forcément que les choses se jouent à quelques dizaines de centimètres ou à quelques millièmes de seconde. Mais c'est également, c'est le revers de la médaille, une façon de faire qui expose car, à tort ou à raison sur le plan réglementaire, tout le monde n'est pas tout le temps disposé à accepter le "chantage" à l'accrochage que Verstappen tente d'imposer.

Hamilton a été poussé dehors à Imola en tentant de résister, a choisi de s'incliner à Barcelone, mais quand on compte 33 points de retard, que l'on joue à domicile et que l'on sait avoir le rythme pour gagner et mettre fin à une longue hémorragie, on ne s'incline plus. Et comme Verstappen avait déjà choisi, après avoir maintenu son rival le plus à l'intérieur possible, de tendre sa trajectoire malgré sa présence à ses côtés, l'accrochage devenait plus que probable, d'aucuns diront inéluctable.

Entre parenthèses, il ne faut d'ailleurs pas minorer non plus la part de risque que Hamilton choisit consciemment et autoritairement de prendre en allant chercher l'intérieur et en s'y maintenant : si les choses tournent vraiment mal, que Verstappen reste en piste et l'emporte alors que lui abandonne, ses espoirs pour la saison sont quasiment anéantis. Cela a-t-il pu jouer dans l'appréhension de la situation par le Néerlandais ? Seul lui le sait, mais Hamilton a de son côté joué, également, un va-tout.

En tout cas, la stratégie du risque est spectaculaire, elle est aussi la plupart du temps payante, pour peu que vous ayez le talent pour la faire fructifier. Verstappen l'a largement et son expérience grandissante renforce ses certitudes et sa foi dans son pilotage, alors même que sa confiance en lui a rarement été ébranlée. Armé d'une monoplace excellente, c'est un redoutable cocktail. Mais il n'est pas face à n'importe qui : Hamilton a beau être un multiple Champion généralement considéré comme fair-play en piste, il ne donne pas sa part aux chiens quand le combat se joue, au sens littéral, roue contre roue.

Il est difficile de dire, alors que les deux pilotes ont offert un affrontement titanesque jusqu'à l'accrochage, que Verstappen aurait dû penser à cela et prendre un peu plus de marge, mais sa stratégie sans compromis s'est violemment retournée contre lui : non seulement Hamilton n'a pas cédé, mais en plus il n'a pas abandonné et n'a même pas été mis hors jeu pour la victoire. Le risque qui, dans la plupart des cas, ne se concrétise pas s'est cette fois-ci matérialisé de façon brutale à la fois par l'accident et par le 25-0 infligé au championnat (ainsi que par le coût sans doute énorme des dégâts matériels).

On doute que ce crash change fondamentalement Verstappen. Dès le dimanche soir, avant même que sa sortie de l'hôpital où il passait des examens de contrôle ne soit annoncée, il s'en prenait d'ailleurs vertement à Hamilton, lui reprochant sa manœuvre et ses célébrations, mettant finalement un pied dans la bataille psychologique qu'il avait refusée après Bakou et suivant avec zèle les éléments de langage de son écurie. Toutefois, et même si l'on considère que Hamilton est majoritairement responsable, l'accrochage de Silverstone devrait l'amener à envisager d'infléchir un peu sa position.

Claquer ou enfoncer une porte, même en étant dans son bon droit, c'est un exercice qui demande d'être deux pour se passer au mieux. Jouer la prudence, c'est souvent une tâche solitaire, moins risquée, peu gratifiante sur le moment, qui peut faire passer pour un "épicier", mais qui peut rapporter gros sur le long terme ou en tout cas limiter les pertes. Le plus désarmant dans l'incident de Silverstone, c'est qu'avant même de faire le choix de cette trajectoire, Verstappen avait sans doute fait le plus dur en bloquant Hamilton sur la droite et en l'empêchant de passer complètement devant. Il ne paraissait pas vraiment nécessaire de faire "all in" sur une trajectoire tendue à Copse pour espérer maintenir un avantage qui n'avait jamais été perdu, pour ensuite profiter "tranquillement" de l'enchaînement Maggots-Becketts-Chapel pour creuser un écart irrémédiable sur la peu chargée W12.

Même s'il est en F1 depuis longtemps, Verstappen demeure un jeune pilote par son âge mais aussi par sa formation. "La valeur n'attend point le nombre des années", disait Pierre Corneille, et dans le cas du Néerlandais, qui a pulvérisé un certain nombre de records de précocité, c'est une certitude. Toutefois, ce qui s'est passé à Silverstone montre qu'il y a encore du chemin à parcourir : l'intimidation par le risque perpétuelle que l'on pouvait se permettre pour jouer une victoire par-ci par-là, on peut difficilement se l'autoriser à outrance dans une lutte pour le titre face au pilote au palmarès le plus fourni de l'Histoire.

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La suite de la saison, et dès la semaine prochaine au Hungaroring, donnera sans doute le ton si une lutte directe se produit à nouveau. L'évolution du rapport de force au championnat et la soudaine tension qui s'est emparée des esprits après le GP de Grande-Bretagne vont offrir un contexte différent. N'ayant plus grand-chose à prouver dans sa carrière, Hamilton a montré qu'il n'avait absolument pas peur de s'adapter à ce contexte pour faire bouger le curseur de son agressivité, quitte à franchir la ligne rouge.

"Je ne reculerai jamais devant personne et je ne me laisserai pas intimider pour être moins agressif", a-t-il notamment lancé, sourire aux lèvres, au micro de Sky Sports après la course. "Ce week-end, nous avions besoin des points et il y avait un espace. Il a laissé la place et j'y suis allé", a-t-il ajouté dans un discours qui en rappellera un autre (heureusement pas dans le même contexte, tout de même).

Qu'en sera-t-il de Verstappen, dont le matelas n'est plus qu'un édredon ? Vivement la suite.

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