Analyse

Les dessous de la séparation houleuse entre KTM et Remy Gardner

Champion du monde Moto2 l'an dernier, Remy Gardner voit sa carrière dérailler après la décision de KTM de ne pas le maintenir en poste chez Tech3 pour 2023. Les arguments mis en avant par Mattighofen pour se séparer de lui soulèvent des interrogations quant à la gestion des jeunes pilotes et les attentes irréalistes placées en eux.

Remy Gardner, KTM Tech3

Remy Gardner, KTM Tech3

Gold and Goose / Motorsport Images

"Je ne serai pas là l'année prochaine, non. Ils m'ont dit que je n'étais pas suffisamment professionnel. Aucune explication. J'ai trimé dur, j'ai eu des années vraiment difficiles, des blessures et j'en suis revenu. Mais on dirait que ça n'était pas suffisant."

C'est abattu que Remy Gardner a livré son sentiment à Motorsport.com dans l'hospitalité du team Tech3 à la veille du Grand Prix de Saint-Marin, alors qu'il venait de révéler publiquement que son avenir en MotoGP était bouché dans l'immédiat.

Le fils de Wayne Gardner, Champion du monde 500cc en 1987, a connu une ascension difficile jusqu'à la catégorie reine. Il n'a connu que peu de réussite lors de son unique saison en Moto3, en 2013, au guidon d'une Mahindra, mais il a en revanche montré des signes prometteurs en passant en Moto2 la saison suivante. En 2017 et 2018, il est régulièrement entré dans les points avec Tech3, doté à l'époque du châssis Mistral 610, cependant de nombreux problèmes ont entravé sa progression.

La saison 2020 a été celle du tournant, car au guidon d'une Kalex de l'année précédente que lui a confié le team SAG il a réussi à aller chercher sa première victoire au Portugal. Dans la foulée, il signait avec Aki Ajo, le faiseur de rois, et intégrait le giron KTM. Engagé dans un duel passionnant avec son coéquipier Raúl Fernández, c'est lui qui a remporté le titre 2021 avant que les deux pilotes ne soient promus ensemble en MotoGP, chez Tech3.

Mais cette première campagne au plus haut niveau s'est révélée laborieuse, au guidon d'une RC16 qui manque de compétitivité face à la concurrence et dans une catégorie dont la nature même rend l'adaptation des nouveaux venus difficile. Si les deux pilotes ont eu la vie dure, Fernández s'est engagé avec RNF et Aprilia pour la saison prochaine − rejoignant ainsi l'équipe qu'il voulait intégrer dès 2022 avant que KTM ne le place chez Tech3 − tandis que Gardner s'est trouvé face à des options limitées.

"J'ai essayé de m'adapter du mieux que j'ai pu et je pense avoir fait un travail à peu près correct", évalue l'Australien quand Motorsport.com l'interroge sur les difficultés à piloter la KTM. "Si vous regardez certaines qualifications notamment, je suis vraiment proche des pilotes d'usine. Parfois, ils gagnent juste en ligne droite, mais c'est à peu près tout. Dans tous les virages, je fais exactement la même chose qu'eux. Donc, honnêtement, je n'ai pas l'impression que mon année de rookie ait été horrible."

Lorsqu'on le compare directement à son coéquipier, les chiffres confirment en effet le point de vue de Gardner, car dans des circonstances compliquées il n'a pas à avoir honte de ses performances. Du Grand Prix du Qatar à celui d'Autriche, il a marqué neuf points contre cinq pour Fernández − cependant absent lors de deux courses. Et si chacun d'eux a battu l'autre cinq fois en course (ils comptent aussi un double abandon en France), c'est Gardner qui a eu l'avantage en qualification avec un score de huit contre trois (et en excluant le GP d'Italie des comptes au vu des conditions changeantes). Par ailleurs, si l'on fait la moyenne des temps de qualification, Gardner s'est montré 0"318 plus rapide que son acolyte sur l'ensemble de la saison.

Gardner has had the edge over KTM Tech3 team-mate Fernandez this season

Remy Gardner a jusqu'ici eu l'avantage sur son coéquipier Raúl Fernández

Dès lors, comment se fait-il que Remy Gardner en soit à étudier les quelques options qui s'offrent à lui pour poursuivre sa carrière en Superbike, alors que son coéquipier a réussi à assurer sa présence en MotoGP pour deux années de plus ?

Les sources de la brouille sont compliquées à comprendre. Les commentaires de Gardner, selon lesquels il se serait vu reprocher son manque de professionnalisme, ont été démentis par Pit Beirer, patron de KTM Motorsport. "Je ne veux pas entrer dans ce jeu", a déclaré l'Allemand pendant le week-end de Misano. "Il y a trois responsables. Il y a Hervé [Poncharal], le team manager, le responsable de notre programme de course [Jens Haibach] et moi, et aucun de nous ne lui a dit ça donc je ne sais pas vraiment qui l'a évoqué. Nous ne l'avons pas qualifié de non professionnel."

En clarifiant ses propos par la suite, le pilote a affirmé aux médias que c'est Jens Haibach, vice-président du département des courses sur circuit chez KTM, qui aurait fait savoir à son manager, Paco Sanchez, qu'il était écarté pour ce motif : "C'est ce que Jens a dit à mon manager en Autriche. Mon manager est venu me voir immédiatement après cette réunion donc je ne sais pas, c'est ce qu'il m'a dit. Je ne suis pas vraiment sûr de leur raisonnement."

Le problème, ce ne sont pas les petites catégories ou les équipes satellites. Le problème, c'est le top management, ils ne sont pas vraiment humains.

Paco Sanchez, manager de Remy Gardner

Gardner a déclaré avoir été informé qu'il ne ferait pas équipe avec Pol Espargaró en 2023 le samedi du Grand Prix d'Autriche, et l'a révélé aux médias le lendemain. Et d'ajouter alors : "KTM l'a encore fait". Là aussi, Pit Beirer a toutefois réfuté les propos de son pilote en assurant que, dès le mois de juin, l'option de KTM dans son contrat n'avait pas été exercée.

S'est ensuivie une nouvelle polémique lorsque Wayne Gardner a pris la défense de son fils sur Twitter en affirmant que personne chez KTM ne voulait travailler avec Paco Sanchez, l'agent du jeune pilote. Des propos qui ont poussé Remy à présenter ses excuses en se saisissant à son tour de ses réseaux sociaux : "Je suis vraiment désolé des propos tenus par Wayne Gardner à l'encontre de mon manager, Paco Sanchez. Paco n'est pas responsable de mon départ de KTM, et j'ai pleinement confiance en son professionnalisme et son honnêteté. Ensemble, nous allons trouver un nouveau projet pour que je continue à prendre du plaisir dans ce sport que j'aime tant."

Un top management qui manque d'humanité ?

Paco Sanchez, quant à lui, estime que le problème prend sa source au plus haut niveau de la direction de KTM. "Ils ne me parleront pas et je ne leur parlerai pas parce que ce système ne m'intéresse pas", a déclaré le manager à Misano. "Je suis intéressé par un système qui peut soutenir les pilotes, les aider à grandir, les comprendre. J'ai besoin de personnes humaines. Je pense qu'Aki Ajo et Hervé [Poncharal] sont des gens bien. Le problème, ce ne sont pas les petites catégories ou les équipes satellites, ou encore les équipes d'usine dans les petites catégories. Le problème, c'est le top management, ils ne sont pas vraiment humains."

KTM's top management has come under fire from Gardner's team since the split was confirmed

Le top manager de KTM est vertement critiqué depuis que le départ de Remy Gardner est officiel

Dans ce contexte tendu, c'est au flux mondial diffusé par le site officiel que Pit Beirer a livré sa version des faits, évitant de fait d'être soumis aux questions des journalistes. Mais le patron du programme a admis que KTM n'évolue actuellement pas au niveau souhaité et il a laissé entendre que la version du clan Gardner n'était peut-être pas si éloignée que cela de la réalité.

"Je pense que nous devons travailler et améliorer la moto, donner aux pilotes une meilleure base et ne pas les blâmer pour les résultats que nous n'obtenons pas", a-t-il déclaré en réponse à des affirmations selon lesquelles Gardner aurait été jugé non professionnel après que lui et son manager ont ouvertement critiqué la RC16. "Mais nous devons aussi avoir à nos côtés des gens qui croient en notre projet, en nous et en le fait que nous pouvons réussir. C'était un point crucial pour nous parce que nous avons reçu certaines informations, plus tôt dans la saison, qui n’étaient pas le genre d'engagement dont nous avions besoin pour nous en sortir. Il ne s'agit pas de livrer des commentaires positifs, nous devons vivre avec la réalité, mais il s'agit d'engagement et d'espoir de voir la situation s'améliorer."

Les personnes impliquées dans cette situation n'en ont pas parlé, mais KTM a des antécédents en matière de pilotes critiquant sa moto. Johann Zarco en sait quelque chose, lui qui avait été publiquement tancé par le PDG de la marque, Stefan Pierer, en 2019. Critiquer les motos a longtemps été un point sensible pour les constructeurs, quels qu'ils soient, et de nombreux pilotes se sont fait taper sur les doigts au fil des années. On se souvient par exemple qu'en 2018, Scott Redding avait reçu une amende de la part d'Aprilia pour avoir ouvertement remis en question la compétitivité de la RS-GP.

Quelle que soit la véritable raison de la brouille entre Remy Gardner et KTM, ce que la marque autrichienne ne peut pas éluder, c'est qu'elle a rendu la tâche de l'Australien plus difficile qu'elle n'aurait dû l'être. Son chef mécanicien, Alex Merhand, bien qu'expérimenté chez Tech3, n'avait jamais occupé ce rôle au sein d'une équipe MotoGP auparavant. Or, pour Paco Sanchez, le manque d'expérience du binôme n'a pas aidé, un rookie ayant besoin d'une direction claire à suivre lorsqu'il se perd dans les réglages de sa moto. Esteban García, ancien chef mécanicien de Maverick Viñales, occupe toutefois un rôle de directeur technique chez Tech3 et il y a donc un profil plus expérimenté dans le stand pour aider Gardner.

Gardner has finished in the points on just four occasions so far this season

Remy Gardner a terminé quatre fois dans les points à ce stade de la saison

Un autre facteur qu'il ne faut pas négliger, c'est la restructuration du projet Moto2 de KTM. Lorsqu'elle s'est lancée dans la catégorie intermédiaire en 2017, la marque a conçu un châssis en acier dans la lignée de ses autres programmes, avant de finalement l'abandonner en 2020 pour utiliser des châssis Kalex badgés KTM.

Brad Binder et Miguel Oliveira, qui ont tous deux connu le succès avec la RC16 ces trois dernières saisons, avaient au préalable gagné avec ces châssis en acier en Moto2 et Moto3. Iker Lecuona lui aussi a bénéficié du châssis KTM en acier en Moto2 avant de terminer des courses dans le top 6 durant son bref passage en MotoGP. Gardner, qui a justement remplacé l'Espagnol, n'a en revanche piloté de moto dotée d'un châssis KTM en acier que pendant deux courses dans la catégorie intermédiaire, ce qui remonte à 2014, et il n'a ensuite utilisé que des cadres conventionnels, en aluminium, jusqu'à cette année.

"Si vous prenez Miguel et Brad, ils n'ont vraiment roulé que sur des châssis en acier depuis le Moto3", a ainsi pointé le pilote australien lorsque Motorsport.com lui a demandé si la décision de KTM de ne plus disposer de son propre châssis en Moto2 à partir de 2020 avait pu affecter son adaptation au MotoGP. "Donc, il est compréhensible qu'ils aient une meilleure compréhension de la manière de les exploiter au mieux et de leur fonctionnement. Je n'ai jamais eu que des cadres en aluminium avant [d'avoir un châssis en acier] cette année, dans la catégorie la plus compliquée, avec l'électronique et les pneus les plus compliqués, les ailerons, les systèmes de variateurs d'assiette… C'est clairement un petit désavantage, il faut le temps de s'adapter à un cadre différent. J'ai fait de mon mieux pour changer mon style de pilotage et essayer de m'adapter à la moto."

À un moment, ils me soutenaient, ils m'ont bel et bien mis en MotoGP. Mais ils ont perdu la foi et il s'est passé quelque chose.

Remy Gardner

Au final, ce que Remy Gardner regrette de ne pas avoir reçu, c'est le soutien de KTM : "Je voulais [sentir que KTM me soutenait]. Je pense que, oui, à un moment donné, ils m'ont soutenu. À un moment, ils me soutenaient, ils m'ont bel et bien mis en MotoGP. Mais ils ont perdu la foi et il s'est passé quelque chose."

La situation que KTM rencontre avec Remy Gardner fait désormais courir à la marque le risque de perdre certains jeunes talents au profit d'autres constructeurs. Mattighofen va devoir prendre garde à bien gérer l'ascension de Pedro Acosta, sa pépite la plus prometteuse dont l'arrivée en MotoGP est quasi-certaine à l'horizon 2024.

Quant à Remy Gardner, il compte terminer du mieux qu'il pourra ce qui pourrait bien être sa seule saison en MotoGP, avec l'intention d'obtenir des résultats pour faire en sorte que "les bonnes personnes passent pour des idiots".

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